« Comment les habitants d’un territoire s’organisent-ils collectivement pour initier de nouvelles pratiques socio-économiques répondant à leurs besoins et contribuant au mieux vivre ensemble ? »
Quatrième étape régionale de la Plate Forme « changer d’échelles du local à l’Europe »
Martine Theveniaut, noviembre 2008
Actions présentées:Questions clés
« Comment les habitants d’un territoire s’organisent-ils collectivement pour initier de nouvelles pratiques socio-économiques répondant à leurs besoins et contribuant au mieux vivre ensemble ? » Quatrième étape régionale des Pactes Locaux, 18 et 19 novembre 2008.
Eléments descriptifs
L’association « Collectif Equitess » est créée en janvier 2007 à l’initiative de 7 associations de Fontenay sous Bois (Val de Marne) : J’en Zay envie, Kaloumba, Ass.Montevideo, Equibois, RIP, Terroirs du Monde et Nuevo Concepto Latino.
Son but : « Valoriser la démarche participative des habitants et des acteurs sociaux dans la construction d’un pôle d’activités liées à l’économie solidaire au cœur du centre commercial des Larris et renforcer la cohésion sociale sur l’ensemble du territoire fontenaysien ».
Le projet est lancé à l’initiative de Terroirs du monde, alors que le centre commercial est en déclin. Dans ce quartier de 8000 habitants, sur 12 emplacements, seulement quelques commerces réussissent à fonctionner (pharmacie, café-tabac, supérette…). Le turn-over des enseignes est rapide. Soit ça marche et l’activité déménage dans un autre quartier, soit elle périclite et le commerce ferme.
À quelques pas de là, à la gare RER une galerie marchande accueille un Auchan qui draine l’essentiel des achats.Cette boutique du commerce équitable, créée sous forme associative par des habitants des Larris et de ses environs, fonctionne depuis 6 ans. La volonté de ranimer la « vie de quartier » tient en partie à des jeunes qui y ont grandi, sont partis faire des études, mais font le choix de revenir vivre et/ou travailler dans un quartier dont il garde un souvenir chaleureux. Une part d’entre eux est composée de migrants : des réfugiés politiques d’Amérique latine dans les années 70, accueillis par une municipalité communiste, de migrants économiques, de première ou deuxième générations. De fait, le monde est présent comme un microcosme, dans les échanges qui s’installent pour cette 4ème rencontre, tant par la participation que dans la manière d’aborder les enjeux de la revitalisation de la vie du quartier.
Le 18 novembre est le jour de l’ouverture de la semaine internationale de la solidarité, à laquelle la municipalité contribue activement, chaque année. Une mission d’expertise externe et d’accompagnement a été souhaitée par Terroirs du monde pour asseoir solidement son projet pour « donner de la crédibilité au projet auprès des politiques publiques, des élus et des financeurs potentiels ; favoriser l’accompagnement du projet, faciliter la participation d’autres structures du quartier ; faire émerger de nouveaux projets qui pourraient intégrer le Collectif Equitess ».
Elle se déroule de septembre 2005 à novembre 2006 et comporte trois volets : soutien méthodologique et animation confié à l’ADSP, analyse socio économique au CRIDA, soutien juridique et financier au Réseau 21.
Quelle économie l’action génère-t-elle ?
Le Collectif Equitess ouvre un nouveau circuit de relations socio-économiques.L’ouverture d’une boutique de commerce équitable entraîne d’autres prises d’initiatives qui répondent au désir de faire société au Larris, de donner du sens au fait d’y vivre, transmettre, éduquer, relier le quartier avec la ville, y compris dans la façon de concevoir l’offre économique (commerces et prestations). Si la boutique réussit à rester ouverte et à servir de tremplin pour d’autres, c’est bien parce que l’offre permet de révéler une demande d’autre chose. Pour des budgets modestes, on ne peut pas dire que les produits du commerce équitable soient de « première nécessité ».
Ce constat permet de (re) découvrir que l’économie n’est pas seulement la satisfaction d’un besoin, sur un mode « utilitariste », mais un vecteur d’échanges humains, sociaux, interculturels… La composante économique au sens monétaire du terme n’est qu’une des dimensions des relations d’échanges. La mission d’expertise est conduite pour qualifier ce qu’est une approche de tiers-secteur : « ce n’est pas une étude de marché, ce n’est pas une étude de faisabilité, c’est une appropriation collective et partenariale d’une démarche liée à un projet ». Elles combinent : - une économie publique : mises à disposition de locaux, subventions, contrats aidés. Elle est structurellement nécessaire à ces échanges pour qu’ils équilibrent leurs comptes. Elle reste toujours conditionnelle (durée des aides, conditionnalités, montants…).
Quelle que soit son utilité sociale – reconnue - elle ne garantit pas la continuité de l’activité avec une sécurité suffisante.- une économie marchande : ventes de biens, prestations. Pour durer, il est nécessaire de créer les conditions d’échanges (volume d’activité, solvabilisation, qualité des prestations, professionnalisme).
Dans sa recherche de continuité, chaque initiative est amenée à se poser la question : Se développer pourquoi ? Comment ne pas perdre de vue la finalité, la dimension sociale de l’activité tout en développant ses potentiels économiques ?- avec une économie non-monétaire : temps d’investissement et savoir-faire mis au service d’un but partagé de moyen terme : la revitalisation du quartier auxquels les porteurs d’initiatives sont attachés.
Mais trop de bénévolat, c’est jouer contre son camp en ne transformant pas une économie au service des échanges humains, en activités dont les promoteurs puissent vivre et le quartier bénéficier de façon durable. Comment qualifier positivement, et faire reconnaître cette catégorie de biens qui se multiplient en se partageant : la connaissance, l’expérience, la confiance, la beauté… ? Ces biens de grande valeur n’ont pas de prix certes (ce ne sont pas des marchandises), mais ils ont un coût. Car les relations humaines de l’échange doivent être entretenues pour pouvoir se transmettre. Dans un système binaire Etat/Marché, elles sont utilisées sans se préoccuper de la nécessité de les entretenir.Or, ces ressources ne sont pas inépuisables, pas plus que les ressources naturelles de l’environnement.Ces initiatives qui choisissent le statut juridique de l’association sont situées entre concurrence et complémentarité : les commerces de proximité co-existent avec un super-marché, une supérette au Larris même. Elles contribuent, sur le mode homéopathique et systémique, à la transformation du terrain et au désenclavement. On vient de l’extérieur manger au restaurant Macondo. Sur le mode urbanistique, elles réinvestissent des espaces ouverts par la destruction physique des cloisons qui le segmentaient. Pour le moment, ces vastes espaces paysagés (30 000 m2 au- dessus de parkings !) où déambuler paisiblement à pied, permettent d’imaginer d’autres usages. Un participant des AMAP rêvait de « Casse-dal (les) » : pourquoi pas cultiver des produits frais à vendre en circuits courts ? Quelqu’un d’autre ajoutait : pourquoi pas dans des grand bacs surélevés pour que les personnes âgées puissent jardiner sans se baisser… ? Ces initiatives renouvellent la créativité. C’est là que « la grande transformation », historiquement, trouve sa source et ses ressources.
L’action a-t-elle augmenté le pouvoir et la responsabilité dans les solutions mises en oeuvre ?
Parmi les ingrédients du pouvoir d’action et de responsabilité :
une jeunesse attachée à son quartier qui partage l’objectif de le revitaliser ;
un projet politique municipal de quartiers vivants et accueillants porté en continue par une mairie communiste depuis plus de 20 ans. Le sénateur maire Jean-François Voguet fait une place aux projets d’habitants, comme l’espérance d’un renouvellement,
une personne qui se fait promoteur d’un projet à partager, Jean-Philippe Gautrais, et qui passe ensuite le relais pour l’installation d’une fonction pérenne d’animation (Joël Cacciaguerra).
À noter la fonction remplie par l’Université de Valenciennes (Réseau 21), véritable pépinière où plusieurs des personnes clé de ce projet collectif ont pu prendre du recul sur leurs pratiques et se former à l’économie solidaire et au développement local. (Retour sur investissement d’une génération qui s’est investie dans la recherche universitaire et la formation des praticiens innovateurs : comment mesurer la valeur de cette transmission, comme l’une des conditions de réussite d’un transfert et d’un rebondissement ?)
un espace public de discussion ouvert au delà du quartier : appel aux associations de la ville : 30 participent aux échanges dont est issu le Collectif,
une démarche qui s’appuie sur un appel à expertise : capacités externes sur la base des valeurs partagées d’économie solidaire, pour se donner des bases solides dans le lancement de la nouvelle étape d’une action collective,
un investissement immatériel (que l’on appelle bénévole), dans une durée suffisamment longue, qui permet des prises de conscience, de donner plus de sens à ce que l’on faisait sans l’analyser dans sa valeur exemplaire et sa portée alternative, d’obtenir des résultats positifs et de marquer des jalons,
une capacité à se saisir des opportunités : les élections municipales pour transporter la volonté politique citoyenne de co-construction (de la place de porteur de projet) à celle d’élu, pouvant agir d’une autre place pour l’appuyer ; la proposition d’accueillir la 4ème étape régionale dans le contexte international de préparation de Lux’09, etc.
une démarche qui réfléchit sur la juste place des diverses composantes et qui fabrique des équipes en réunissant, sans les confondre, les ressources des associations membres, des alliés dans des institutions, notamment Christine Bourdel au CG 94, interfaces du Collectif Equitess, traducteurs des intentions relais des dossiers ; une présidence militante expérimentée (Françoise Hutinet).
une ouverture sur les ressources, à la recherche de réponses (plurielles) à des besoins identifiés. Exemples : comment réinstaller une boulangerie ? Quel chemin pour installer une vente de produits frais dans le cadre d’un marché paysan de quartier ? Un jeune né dans le quartier vient de reprendre l’exploitation agricole de ses grand-parents dans le Ardennes : comment l’aider à vivre de son activité, en lui achetant ses produits ? Comment ce circuit (longue distance, 2 marchés par mois) est-il combinable ça avec la réponse AMAP (prix trop élevés sur l’année pour s’enraciner dans ce quartier populaire) ? pourquoi pas une succursale d’Auchan dans le quartier lui-même pour une vente de produits frais à prix abordable ? etc…
Quelles articulations l’action a utilisées/produites pour réussir des avancées ?
Cette économie de tiers-secteur n’est pas, à priori, affaire d’étiquette politique. Les crédits nécessaires pour réaliser l’expertise sont votés à l’unanimité par le conseil municipal, toutes sensibilités politiques confondues. L’installation d’un comité de pilotage autour du Collectif Equitess, dans le cadre de la mission d’expertise, a eu un rôle déterminant pour installer des relations partenariales avec l’environnement institutionnel du projet : mairie, conseiller général du canton, CG 94, Conseil Régional, DIV… Le quartier comme territorialité d’exercice conduit à rechercher des relations partenariales, de qualité, auprès de différents services concernés, à l’intérieur même des institutions, Elle révèle les difficultés de s’organiser pour travailler ensemble entre institutions comme voie de progrès possible pour la recomposition transversale d’interventions publiques plus efficaces.
L’approche portée collectivement, légitimée d’être portée par des habitants qui s’organisent, sur une base territoriale, intervient comme un analyseur de possibles combinaisons dans le secteur marchand lui-même où coexistent différents modèles économiques : - extra-territorialité / localisation dans la grande distribution, - « se serrer les coudes » / plutôt que « jouer des coudes » ou « fonctionner en solo » entre commerces de proximité ; - proximité (circuits courts) / solidarités à (plus ou moins longue) distance (agriculteur ardennais, coopérations internationales humanisées avec l’Amérique latine ou l’Afrique, codéveloppement habitants / pays d’origine, etc…)- entre « concurrence et concourance » existe une pluralité de possibilités dont l’expérimentation est réfléchie dans l’intention de desserrer l’emprise de la pensée unique au bénéfice d’une approche économique plurielle.La notoriété extérieure qu’obtient l’action intervient en retour pour l’accréditer localement auprès de ses interlocuteurs. Ses résultats (même modestes) accréditent à leur tour des démarches qui entendent porter cette perspective à l’échelle internationale : Entre le refus d’un modèle unique et des alternatives micro-économiques comment fait-on converger des volontés pour construire une globalisation de la solidarité ? Cemment tirer parti du Forum Lux’09, affirmant ces innovations de l’économie solidaire comme « une autre économie » pour mettre le focus sur les conditions auxquelles franchir un pas significatif ?
Questions récurrentes / Effets des systèmes
Pour ne pas être maintenu dans le local, le supplétif, l’expérimental (cf Pierre Calame)Comment réunir les conditions de la durée ?- des locaux pour installer les activités,- l’appui aux investissements immatériels pour la constitution des collectifs d’acteurs pluriels : habitants et décideurs, usagers, salariés et bénévoles…,- une capitalisation en continu pour que des expérimentateurs ne s’épuisent pas à la tâche, fassent le pas d’après et renouvellent leur vision dans une perspective de moyen (à long) terme,- la recherche d’appuis /d’alliés pour faire connaître, soutenir, relayer, construire,- la vision systématique d’une politique de quartier et la mise autour de la table du plus grand nombre des décideurs publics et privés qui détiennent un bout de la solution, - la structuration juridique pour ces activités « multi » composantes, « multi » financements (publics, privés, non monétaires),- quelle ouverture sur l’extérieur pour croître aussi dans l’horizontalité des échanges : comparaison, adossement mutuel, parole collective d’habitants / quartiers à d’autres échelles, notamment francilienne.
Quelles leçons pour démultiplier ces dynamiques territoriales à l’avenir Au regard de la participation démocratique, on peut tirer des enseignements de l’exemple proposé par le Collectif Equitess . À propos des : - modalités de relations partenariales entre société civile et responsables publics La dimension « politique » comporte différentes dimensions : a) des perspectives et un contenu mis au point entre ceux qui le portent, réunissant différentes sensibilités, collèges d’acteurs, positions et niveaux de responsabilités, etc…. Le projet est souvent lié à un territoire vécu (de taille modeste, c’est le cas des Larris).
Mais il peut aussi s’agir d’un projet affinitaire plus général (national et au-delà). Dans ce cas, l’informel sait conserver des marges de manœuvre pour faire de la place à la créativité et inventer des formes d’organisation appropriées à une approche coopérante (ou concourante). Des possibilités d’alliances existent au-delà des positions institutionnelles et des fonctions professionnelles assumées par chaque partenaire du projet.
On parle dans ce cas de territorialités de projet.b) la traduction d’un projet dans les systèmes territorialisés de l’action publique
défini par l’intitulé « économie solidaire » dans le cas présent
est soumise- à des logiques d’interprétation (le sens donné aux mots et le poids qu’on leur accorde dans leur mise en dispositif),
à des appartenances politiques (à tel ou tel parti qui s’en revendiquent, aux choix des électeurs qui définissent des majorités municipale, départementale, régionale, amenées à composer entre elles pour équilibrer leurs poids respectif, etc…).
aux lourdes contraintes institutionnelles de la territorialisation des politiques publiques s’imposent dans des circonscriptions administratives qui découpent des compétences sociales (département), économiques (région), régalienne (Etat), supra-nationale (UE et international) etc.
aux effets du non droit qui se multiplient. L’informel peut être positif si échapper au contrôle permet d’inventer, mais l’absence de règles lisibles encourage l’arbitraire et les abus de position dominante, au détriment du plus grand nombre. Un seul exemple : l’empêchement d’entrer en France par la PAF de ressortissants étrangers, bien qu’invités à la semaine internationale de la solidarité par la municipalité de Fontenay sous Bois le 19 novembre.Résultat : un ensemble assez opaque dans lequel la traçabilité d’une décision se perd dans les distances entre la proximité et les systèmes englobants, et les méandres du local au global.
Ces carences démocratiques sur l’essentiel des finalités de la vie en société sont particulièrement dommageables. Les questions qui se posent alors :- Comment créer les conditions d’une validation démocratique qui fonderaient de nouvelles régulations, légitimes, garantissant le bien commun et/ou l’intérêt du plus grand nombre ?
Quelle est la juste place des réalisations inventives, de taille modeste, dans une dynamique d’ensemble de globalisation des solidarités ?
Comment les relier entre elles pour qu’elles gagnent en influence et agissent sur les questions générales ?
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