Une économie sociale, solidaire et territorialisée, condition du développement durable.
Exemple du tourisme responsable à l’échelle d’un territoire de mobilisation à Djibouti : ALTICOBA21
Martine Theveniaut, Alain Laurent, outubro 2005
{Résumé
La démarche ALTICOBA21 (Agenda 21 Local, Tourisme Issu des COmmunautés de BAse) est portée par un groupe de personnes ressources, le réseau T2D2 « Tourismes, Territoires et Développement Durable ». L’exemple traité dans le présent document concerne la région Sud de la République de Djibouti. ALTICOBA21 est une réponse au tourisme irresponsable et irrespectueux. Mais elle va au-delà. Elle concerne des territoires défavorisés, peu dotés en ressources institutionnelles et/ou économiques. L’activité structurante est le tourisme responsable. ALTICOBA21 est une méthode pour susciter et faire germer des ferments d’initiative « hors les murs ». Elle permet la création d’une jurisprudence de fait et construit la légitimité d’une co-responsabilité dans la création d’un projet territorial partagé qui, par son mécanisme aller-retour théorie pratique, instaure un pilotage de l’amont par l’aval en rapprochant le niveau de décision du terrain.
1. Contexte et domaines.}
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1.1. Contexte
La démarche ALTICOBA21 (Agenda 21 Local Tourisme Issu des COmmunautés de BAse) est portée par un groupe de personnes ressources, le réseau T2D2 « Tourismes, Territoires et Développement Durable ». L’exemple traité dans le présent document concerne la région Sud de la République de Djibouti (Assamo, district d’Ali-Sabieh, 230 à 250 habitants, environ 800 sur le territoire d’influence, une école, quatre fonctionnaires – voir la carte). Cette région est rurale, de culture issa-somalie, peuplée de nomades plus ou moins sédentarisés et de réfugiés économiques des pays voisins, l’Ethiopie et la Somalie. L’activité principale est l’élevage, de moins en moins transhumant, de caprins, ovins et dromadaires. Les pâturages - sol et aérien - sont diffus et accessibles à tous, en toute saison, contrairement aux zones afares à l’Ouest et au Nord du pays, où, du fait d’une autre géologie, les ressources végétales sont concentrées au fond de cuvettes et dépressions permettant un accès contrôlé et donc un système de propriété et gestion foncières.
Depuis 2004, une autre région, la vallée d’Ayboli et les villages d’Ardo et Bankoualé, dans le district de Tadjoura , au Nord, est le deuxième site d’application à Djibouti.
A Djibouti, le contexte socio-économique est en profonde mutation : sédentarisation progressive, aridification continue, multiplication des points d’approvisionnement en eau - puits, citernes, retenues -, mouvements migratoires réguliers dus à des conflits internes (Somalie, Djibouti) ou entre Etats voisins (Ethiopie/Erythrée), militarisation par augmentation des forces étrangères stationnées (US mais aussi pays européens), manne financière peu redistribuée issue de la position de Djibouti comme unique accès portuaire possible à moindre coût pour l’Ethiopie, décentralisation chaotique impulsée par les organismes de l’APD (Aide Publique au Développement).
« Ballottés de plus en plus par les aléas climatiques et condamnés à consommer leur propre capital naturel, les nomades survivent aujourd’hui grâce à la solidarité familiale et à l’aide alimentaire internationale » (Séminaire de réflexion sur l’action gouvernementale, 2002).
1.2. Du tourisme à l’agenda 21 local et réciproquement.
Le tourisme, une activité composite, un système en soi.
Le tourisme est une activité de branche faite d’un agrégat de services libéralisés, particulière sur plusieurs points :
Le consommateur va dans le produit.
Le produit est vendu sur plan sur internet ou par brochure.
Les produits sont peu comparables car adaptés à la demande et spécifiques à chaque pays.
Le produit « marchandise » de l’immatériel : chaleur humaine, empathie, exotisme, esthétisme…
C’est la consommation du bien ou service par un touriste qui rend « touristique » ce bien ou service.
Quelques chiffres pour donner l’échelle
• 2002 : plus de 700 000 millions d’arrivées internationales.
• 2010 : 1 milliard d’arrivées internationales.
• 200 millions de salariés : un des premiers employeurs du monde.
• Premier taux de croissance (arrivées) : +10% en 2004 !
• Troisième position pour les revenus après le pétrole et l’automobile.
• Leader de la globalisation.
L’agenda 21 local d’en bas et pour le bas en tirant tout le monde vers le haut.
Deux définitions : tourisme responsable et agenda 21 local façon ALTICOBA21
• La responsabilité est le devoir de rendre compte, de répondre d’un fait, d’en être garant. Le tourisme responsable regroupe toutes les formes de tourisme qui montrent un « plus » de responsabilité : tourisme solidaire, équitable, durable, éthique, pro-poor, community-based, intégré, diffus, écotourisme,
• Un agenda 21 local, pour ce qui concerne ALTICOBA21, c’est organiser et envisager dans le temps, en référence à ce siècle, non pas une application territoriale d’une contrainte venue « d’en haut », mais la co-construction PAR, AVEC et POUR le local, d’un devenir pensé, sans oublier le global et les temps particuliers.
ALTICOBA21 est une réponse au tourisme irresponsable et irrespectueux. Mais elle va au-delà. Elle concerne des territoires défavorisés, peu dotés en ressources institutionnelles et/ou économiques. L’activité structurante est le tourisme responsable. Par son appellation, elle fait référence au courant du développement durable préconisé au plan local sous la forme « d’agenda 21 local » (RIO 92), ce qui la rend lisible au plan institutionnel international (ONU, UE, BM…) mais difficilement compréhensible par les acteurs de terrain : pédagogie, suivi, organisation et présence de proximité sont alors nécessaires. Djibouti, avec « ALTICOBA21 », est un pays pionnier depuis 2000, année de l’intention initiale. Un séminaire d’échanges, de sensibilisation et de promotion au niveau national et régional est prévu en décembre 2005 sur co-financement UNESCO.
Au plan international, ALTICOBA21 a été promu en 2002 à Johannesburg (RIO +10), auprès de la CNUCED (Lisbonne, 2004), de l’UNESCO (Paris, 2002-2004), du Conseil de l’Europe (2005), au cours du premier forum international sur le tourisme solidaire (Marseille, FITS 2003) et auprès des coopérations françaises et italiennes (2001 – actuel).
La démarche ALTICOBA21 peut s’adapter à beaucoup de contextes, hors situations de crises humanitaires, naturelles ou guerrières. En dehors de la Corne de l’Afrique, des initiatives en cours, en démarrage ou en potentialités existent en Europe (programme Evora 21, Alentejo/Portugal), en Afrique continentale (Burkina Faso, à partir de l’expérience des villages d’accueil TDS), au Cap Vert (à Santiago, dans le cadre d’un programme de gestion durable des ressources naturelles), en Inde (au Sikhim/Dzongu, à partir d’un programme d’écotourisme) et au Laos, en appui à la diaspora et au village de Ban Houeï sur l’île de Không (Paksé).
2. Les enjeux territoriaux d’un tourisme plus responsable.
2.1. Prendre réellement en compte le caractère multidimensionnel et externalisant du tourisme.
Le voyage est un temps d’échange, d’altérité, d’interculturel, d’éveil à d’autres réalités, de prise de conscience, d’enrichissement intellectuel, d’émotion de la découverte… A l’empreinte écologique du touriste, voyageur ou, consommateur de loisirs, « il faut ajouter une empreinte sociale et culturelle et tenter d’évaluer dans toutes leurs interactions les effets directs mais aussi indirects et cumulés sur l’environnement général et particulier (ressources, biens communs, patrimoines…), les sociétés (les relations sociales, l’organisation, la répartition du travail…) et les cultures (modes de vie, part du matériel et de l’immatériel, rapport à l’éthique individuelle et collective, mode de vie…). C’est de cette seule façon, systémique, que l’on prendra conscience du caractère imbriqué, imprégné et intégré, de l’écheveau des relations issues de la chaîne initiale ressource-monteur de produits-vendeur- consommateur . » Ce potentiel unique est masqué par des réalités moins glorieuses :
Les externalités négatives du tourisme conventionnel – massif, industriel, all inclusive.
• Les régions d’accueil ne maîtrisent pas les flux touristiques, contrôlés par des groupes internationaux côtés en bourse.
• Le non-respect des engagements et du droit des clients progresse et les dérives se multiplient.
• L’endettement externe pour les investissements et un taux de fuite de 40 à 90% diminuent le montant des devises générées.
• La monoactivité touristique est dangereuse, car elle est soumet le territoire à une demande sujette à des fluctuations brutales et imprévisibles (exemple : SRAS en Asie).
• Le droit aux vacances et aux loisirs est une inégalité de consommation, de droits sociaux et de développement personnel.
• Les emplois touristiques sont souvent mal rémunérés, saisonniers et sans possibilités de réelles qualifications.
• Les atteintes aux droits des travailleurs et l’exploitation, y compris sexuelle, des femmes et des enfants sont courantes.
• Le tourisme fragilise le tissu social et bouscule les bases culturelles en renforçant les disparités sociales.
• Le tourisme aérotransporté contribue au déséquilibre climatique planétaire. Et par ses impacts terrestres, il pollue, surexploite et artificialise les paysages, accapare le foncier et crée des conflits d’usage de ressources limitées comme l’eau ou l’énergie.
2.2. Utiliser la multidimensionnalité du tourisme pour créer des externalités positives elles-aussi multidimensionnelles.
Solidaire, équitable, durable, alternatif, éthique, pro-poor, doux, community-based, lent… autant de progrès dans la RSE, l’équité, la répartition des recettes, les préoccupations environnementales, l’échange rééquilibré, les partenariats commerciaux équitables… Mais ils se situent à la marge. A titre d’exemple, en 2002, le tourisme solidaire représentait environ 50 000 voyages à l’étranger par an (estimation haute) sur 17 millions de séjours personnels à l’étranger, soit 0,3%, selon Gilles Caire, économiste à l’Université de Poitiers (pers. com.). Le tourisme pratiqué à Djibouti est non massif, co-piloté localement, équitable par une large répartition des bénéfices directs (emplois) et indirects (activités dérivées) et aussi par un taux de réinvestissement sur place de l’ordre de 80% hors liaison aérienne, solidaire par un prélèvement sur chaque vente de prestations destiné à co-financer des actions de développement local, attentif aux impacts environnementaux et sociaux (conditions d’emploi), respectueux et restaurateur autant que possible des patrimoines naturel et culturel.
Le produit phare de l’expérience à Djibouti : les caravanes chamelières solidaires
• 200 à 300 clients annuels, clients locaux pour 70% (militaires, expatriés), trekkeurs et plongeurs en prolongation de séjour.
• 518 journées chamelières vendues en 2004.
• Une agence locale, un TO en France, un marketing alternatif (bouche à oreille), une rotation des personnes, un reversement solidaire, un registre caravanier outil de pilotage et de transparence.
2.3. Les conditions de départ pour envisager un développement plus durable, équitable, solidaire et responsable.
Une entreprise organisée pour s’inscrire dans le paysage d’acteurs locaux, au cœur de la communauté.
Ceci est réalisé par un partenariat commercial pour les prestations touristiques, une co-maîtrise d’ouvrage pour les actions de développement, et une co-animation pour encourager les dynamiques vertueuses au sein de la communauté : organisation, montée en puissance des femmes et des jeunes, comportements solidaires (rotation des personnes impliquées dans l’activité) ou économique (prêts dans les boutiques), préoccupations environnementales et actes positifs (protection des arbres adultes, sanctions pour les infractions), capacitation des personnes et des collectifs.
Un territoire ayant identifié sa représentation et son potentiel.
L’échelle du territoire de mobilisation, plus proche de la notion française de « pays » que d’une division administrative, permet de définir un bon niveau de représentativité, de tenir compte des spécificités géo-culturelles - par exemple une gestion ethnique ou tribale qui continue à définir les usages -, de problématiser par un raisonnement systémique et, pour le territoire, de préparer sa contribution à la réussite de l’opération touristique et des autres actions, forcément partenariales.
3. Le terrain fait bouger les conceptions de l’entreprise, du territoire et de la durabilité.
L’initiative découle de la conviction, étayée par une analyse de décennies de mal-développement, qu’il peut exister des liens structurants et porteurs de sens entre les logiques propres de chaque registre. Il faut donc travailler sur les articulations en les rendant visibles pour comprendre et résoudre plus efficacement les problèmes.
3.1. L’entreprise de proximité est l’acteur moteur initiateur d’interactions avec les habitants et entre ceux-ci.
Ces relations sont d’abord économiques mais elles sont aussi inductrices d’organisation (avec qui travaille-t-on et dans quel cadre ?) et d’interactions secondaires (les sous-traitants, les membres de la communautés, les pourvoyeurs occasionnels, mais essentiels, de biens, de services et d’immatériel).
Pour cela, l’entreprise touristique doit au moins assumer un double rôle à finalité économique et sociétale :
·co-gestionnaire majoritairede la chaîne ressource-monteur de produits-vendeur- consommateur,
·co-gestionnaire minoritairede l’animation du territoire sous son influence.
3.2. Le territoire est un système de relations créatives appréhendables par le bas et identifiables du haut et des côtés.
La personne est au centre du processus et des dynamiques suscitées ou appuyées. Dans la pratique, ceci veut dire travailler à partir des besoins, des attentes, des spécificités et des aspirations des communautés concernées. Pour répondre, l’analyse doit se faire au travers d’une appréciation initiale et continue des potentiels et des contraintes du territoire. ALTICOBA21 considère donc la personne, dans toutes ses dimensions, comme le sujet et l’objet de la démarche, ce qui la place au centre de gravité des économies locales (dont l’économie touristique), de l’espace de mobilisation de la communauté de vie et au point de convergence entre toutes les dynamiques relationnelles des systèmes locaux et englobants.
3.3. Le développement durable ? Un maximum d’externalités positives issues du système relationnel territorial.
ALTICOBA21 part d’une conception relationnelle, ouverte et dynamique des évènements. Il faut donc traiter à la fois les niveaux de la personne, de la communauté, des habitants en général, du tourisme (produits et services directement ou indirectement liés au tourisme), du territoire de mobilisation, espace d’engagement actif et de développement des économies locales et de l’ensemble des relations d’interdépendances entre les systèmes et sous-systèmes inclus ou incluant. Le développement durable est donc la création d’externalités positives à chaque niveau d’articulation des échelles et des dimensions.
4. Les aspects prometteurs de rebonds, d’amplification et de montée en généralité.
4.1. Il est possible de créer de la pertinence territoriale.
Partir du bas (des gens) : initiatives, rythmes, capital social.
Pour ALTICOBA21, l’habitant est au cœur de la co-opération. Ce principe simple et de bon sens entraîne immanquablement des conflits de procédures et des chocs de cultures. La logique ascendante bouscule les orientations pré-définies, crée des opportunités, introduit de l’aléatoire, permet la créativité et l’innovation.
Les calendriers sont déroulés localement, au rythme des évènements. Une fois l’objectif défini, les agendas de réalisation sont « glissants » sans perdre la cohérence indispensable. L’objectif est aussi de favoriser les mises en situation de responsabilité, l’établissement de relations de confiance, l’émergence des femmes… Cela passe parfois par des biais, tels des outils d’organisation (registre artisanat, caravanes…) et des modalités particulières d’animation et de relations avec les habitants.
Maximiser et diffuser les effets induits positifs, qui promettent de l’être.
La multiplication et la rotation des postes dans les caravanes chamelières (guides, cuisinières, fournisseurs…) permet de faire vivre toutes les familles du village d’Assamo. Moins directement, la fabrication de confitures (une révolution dans le contexte), le développement qualitatif et quantitatif de l’artisanat, l’instauration spontanée de micro-crédits, les idées de cluster « fibres de palmiers » et de mobilier « ligne nomade » sont des exemples de dynamiques générées par l’activité touristique. Un tableau récapitule ces effets en fin de ce document.
Revisiter la culture.
La redécouverte de matériaux anciens revivifie la tradition, à l’exemple de la production des pièces de couverture de cases abandonnées au profit des bâches nylon du PAM (Programme Alimentaire Mondial) reprise dans le cadre des nouveaux produits artisanaux. Le tourisme responsable d’Assamo est aussi un prétexte à valoriser l’oralité (la généalogie, les origines, les contes, les traditions…), capitaliser les connaissances (en ethnobotanique par exemple), favoriser la recherche historique et prendre conscience de la perte du patrimoine matériel et immatériel, traduit par l’initiative d’une recherche d’objets anciens pour la création d’un musée.
Des ingrédients de durabilité
• Passer de la « figuration intelligente à la périphérie » à… : un atelier national de mutualisation (co-financement UNESCO), le jumelage entre territoires, la création d’un centre ressource (programme REXCER – Réalisations EXemplaires et CEntre Ressource) sont des voies de basculement d’échelles empruntées à Djibouti.
• La systémie partagée dans l’analyse et la définition des actions : par l’analyse problèmes-causes-solutions et une hiérarchisation des actions sur le mode « bon ppur les gens – bon pour la nature », elle aboutit à la co-construction d’une réponse intégrée à des causes intégrée. Exemples : le programme 3 E « Elevage-Energie-Environnement », les retenues de surface sur le bassin versant de l’oued Assamo, la conservation in situ du beira Dorcatragus megalotis…
• La création d’un capital de confiance dont les intérêts finaux sont la synergie et l’efficacité : par la proximité, l’écoute, le respect de la parole dite et la réalisation d’actions lisibles (réhabilitation du puits du village, micro-barrages) se créent un climat favorable et des relations de confiance qui, dans une société paradoxalement individualiste contingentée par des nécessités de survie économique, ménage des espaces pour la réflexion collective et quelques actions à effets différés.
• La gestion durable des ressources naturelles rares : en donnant une nouvelle valeur - identité, élément d’histoire ou de qualité générale, valeur économique…-, l’eau, le bois et la gazelle beira endémique sont devenus des enjeux de gestion raisonnée parfaitement assimilés par les habitants.
• La coopération de territoire à territoire, les circuits courts : par des opérations techniques tels que la transmission des techniques de foyers améliorés ou d’apiculture, des formes nouvelles de coopération voire de mise en relation toute simple s’instaure. Un rapprochement plus politique, type jumelage, a été observé.
• L’obsession de la diversification : diversifier les clients, les fournisseurs, les activités, les partenaires… c’est au minimum du bon sens économique mais aussi une stratégie de durabilité éprouvée. C’est aussi une obligation pour créer un marché touristique local ou régional, diminuant d’autant l’impact climatique de la clientèle aérotransportée.
• Une offre supplémentaire de s’engager dans une forme de solidarité internationale : les produits touristiques solidaires, durables ou éthiques, constituent une opportunité supplémentaire de contribuer, un peu, au rééquilibrage des échanges avec les PMA, PED, pays émergents, en transition…
4.2. Il est possible de passer de la case (projet) à l’échiquier (processus).
Introduire la progressivité et la souplesse.
Dans une culture de la norme et de résultats quantifiables et mesurables, la logique de la tentative, de l’essai est peu lisible. « On tend vers », « On essaie de » : dans un ALTICOBA212, la notion de progression et de progressivité est essentielle. La lisibilité administrative, financière, institutionnelle et grand public en ressort affaiblie avec, parfois, un sentiment de flou, de frustration ou d’échec, voire d’incompétence.
Devenir plus « capable ».
A l’inverse de la logique de projet - objectif, résultats, maîtres d’ouvrage et d’oeuvre, contexte, délai, moyens et outils -, la démarche met plus l’accent sur les moyens d’évaluer, de capitaliser et d’augmenter la compétence individuelle et collective que sur les procédures.
Exemple du FITS : la participation du partenaire local, Daher Obsieh, se traduit à son retour par des réunions, un règlement intérieur, le soutien une nouvelle association de femmes « Ho-Yow », la rédaction d’un guide du jardinier…
Ecouter et entendre.
La logique d’écoute fait que des résultats initialement prévus peuvent être remis en cause dans leur ampleur, échéances, contenu… Les actions sont donc définies en adaptation des attentes (« la vraie complexité est sur le terrain »). Sans obligations d’ordre procédurières, les résultats sont à géométrie variable, « glissants », non finaux, liés à des phases ou des étapes et surtout issus de la dynamique locale.
Des occasions de solidarité spontanée.
Des exemples probants sont, entre autres, pour la caravane d’Assamo, la location tournante entre les familles et la sous-location occasionnelle de dromadaires pour subvenir au frais d’un mariage ou d’un décès, l’utilisation systématique du chameau de l’aveugle du village (une personne sans ressources ni relations à la ville), des mécanismes d’emprunts et de crédits entre membres du village et avec les boutiquiers.
4.3. Il est possible de marier des carpes et des lapins : la question de la cohérence.
Ce qu’implique la rencontre du bas et du haut.
L’enjeu est de faire se rencontrer une démarche ascendante et des orientations de politique nationale : « Le développement ne consiste pas à construire l’Etat dans l’espoir qu’il engendrera la société, ni à développer une société sans Etat, mais à construire simultanément les pouvoirs publics, la société et les rapports entre eux, tant au niveau national que régional ». Les conséquences ? Devenir soi-même expert en politiques générales et sectorielles, travailler avec les institutions, investir dans le relationnel, fréquenter les infréquentables…
Ce qu’implique la perception systémique du territoire.
Une démarche territoriale impose de travailler en cohérence avec tous les acteurs, niveaux et catégories, y compris internationaux. Il faut donc concilier des contraintes liées à des logiques, procédures et pratiques hétérogènes, disjointes, incohérentes entre elles. Ceci allonge la liste des tâches, ralentit les processus et oblige à la dispersion. Exemple : l’Ambassade du Japon veut bien financer l’adduction mais pas l’exhaure de l’eau. Il faut donc, pour cette action simple et limitée - pomper et distribuer - trouver le montage adéquat.
Ce qu’implique d’assumer une échelle territoriale.
Les questions étant multi-acteurs et dimensions, les réponses doivent être au diapason. Il faut donc des partenariats locaux, nationaux et internationaux complémentaires, équilibrés et cohérents. T2D2 cherche à structurer une capacité française à traiter, sans l’émietter, une problématique territoriale au Sud. Une tâche de longue haleine.
4.5. Il est possible de soumettre les procédures, lutter contre les conventions et débusquer les alibis techniques.
L’agenda 21, balise et renforçateur.
Outre son objectif de cohérence et d’articulation, un ALTICOBA21 montre aux partenaires, aux visiteurs et aux clients que la communauté s’est engagée collectivement et de manière réfléchie. Mais le texte et ses actions, volets et chantiers de réalisation est aussi un prétexte pour vérifier périodiquement la solidité des objectifs communs et sert à fixer des références de réalisation dans le temps et à redynamiser le collectif….
Un compagnonnage intellectuel et opérationnel.
T2D2 est vu, parfois, comme un bureau d’études qui ne dit pas son nom. Deux caractéristiques l’en distinguent :
• Dans la pratique, il mixe co-opération technique, développement de projet, accompagnement d’un processus et agit dans les domaines amont (aide, appui) et aval sans « faire pour » et pratique une sorte de compagnonnage intellectuel et opérationnel.
• Il pratique l’encadrement bénévole d’étudiants, conseille et fournit des intrants à des administrations, publie et vulgarise ses outils, décloisonne ses propositions et son relationnel, considère ses interventions comme autant d’investissements à amortissements lents de nature non financière…
Etre en veille et à l’écoute dans la durée.
T2D2 s’astreint à être réactif et à être présent dans le conseil, l’action de relais, la mobilisation de partenaires potentiels, la communication… Un suivi attentif dans la durée doit capter en temps réel les dysfonctionnements et faire des propositions de solutions. Sans volonté de faire durer une quelconque dépendance, il est évident que les aléas du monde moderne - depuis les fluctuations des marchés globaux jusqu’aux conflits d’origine politique, ethnique ou politique en passant par les crises alimentaires, climatiques ou de santé publique – imposent à tous les partenaires une capacité de mise à niveau et une adaptabilité réelle.
Apprendre à apprendre.
ALTICOBA21 intègre la certitude d’erreurs grâce à une logique d’apprentissage pour tous. La mutualisation et la capitalisation – sous forme de missions à hauteur de 1,5 mois par an - est structurelle : l’action génère des enseignements, traités, retenus, puis réinjectés dans la méthodologie. Cela génère de l’efficacité en continu.
Evaluer quand c’est le bon moment.
L’évaluation - externe, interne et auto - est une action lourde et mobilisatrice. Elle est pensée dans une logique en partie qualitative (tenter de rendre compte des effets relationnels) et de long terme (privilégier ce qui est plus d’intérêt collectif, partagé, commun). Ceci évite que des temps d’évaluation prédéterminés ne correspondent à des phases de transition peu significatives ou s’imposent aux acteurs et aux actions d’une manière artificielle.
5. Les difficultés de réalisation et de généralisation.
5.1. Vendre la transversalité, l’intégration, le décloisonnement, les articulations : une tâche épuisante.
ALTICOBA21 est une machine à décloisonner et intégrer développement et tourisme. Elle est en porte-à-faux : ni complètement dans, ni véritablement dehors un secteur. Il faut donc traiter les préoccupations immédiates en réalisant des actions de fond, mobiliser les techniciens, les partenaires et les ressources pour réaliser l’agenda 21, trouver des financements pour animer - accompagner, suivre, conseiller, co-évaluer…-. Et prendre en compte les problèmes généraux - économie, situation politique, sécurité… -. Le seul moyen est d’expliquer encore et toujours et chercher la compréhension des personnes à profils particuliers, dits profils transversaux, dans tous les secteurs parties prenantes et à tous les niveaux. Ce sont des passeurs de frontières individuels, des agents de changements, des marginaux sécants (sic) qu’il faut systématiquement rechercher, valoriser, renforcer et multiplier.
5.2. Accorder les différences : cultures, rythmes et calendriers disjoints.
La logique commerciale touristique et les contraintes qui en découlent pour les personnes impliquées bousculent les calendriers, ré-echelonnent les priorités et imposent un rythme très rapide à tous. D’une certaine façon, le moteur touristique tourne au « sans plomb », celui de la dynamique sociale « au diesel ». Il faut donc tenter de s’organiser, faire travailler ensemble des gens de métiers différents, adapter sa communication, faire comprendre que le tourisme est une chaîne d’acteurs, concilier le temps rapide du marché et le temps long de l’évolution des consciences, coordonner des calendriers extérieurs, éviter les pièges de la concurrence entre structures et partenaires, jongler avec des rythmes différents et établir durablement des partenariats de raison.
Ces difficultés sont amorties par la proximité et le temps consentis, qui permettent de bien connaître les logiques d’acteurs. La formation, une organisation des personnes impliquées dans l’activité touristique et une explication en continue des spécificités de la branche sont d’autres voies d’action. Il faut montrer le dessous des cartes, expliquer le « pourquoi ? » et le « comment ? », faire comprendre les autres logiques. La question des partenariats est cruciale car les « temps rapides » ne sont pas outillés et même incapables de se mettre en phase avec les « temps lents ». Des animateurs bi-culturels, des conciliateurs, des amortisseurs, doivent être mobilisés. Il faut réhabiliter les animateurs territoriaux.
5.3. Intégrer, au départ, le flou, l’impromptu, l’aléatoire, l’impensé.
Le projet de développement, lorsqu’il dépend de ressources extérieures, notamment financières, conforme les réalisations, les rythmes et les façons de faire à des procédures et des calendriers d’agences qui ont peu de rapport avec les réalités du terrain, alors que ce dernier est invoqué et mis en exergue par les bailleurs. Mais le terrain c’est la créativité, l’innovation, le non formaté, l’inattendu. Mettre les procédures au service du projet collectif devient la difficulté majeure. Il faut essayer de convaincre de l’importance de faire évoluer les outils existants, faire preuve d’astuce (la « bidouille »), se forcer à trouver des solutions alternatives.
5.4. Agir à priori dans un contexte de pénurie : connaissances, ressources financières.
Le tourisme et le développement requièrent des aptitudes et des compétences techniques et du professionnalisme. Les personnes ressources susceptibles d’être impliquées sont à la fois peu nombreuses (obstacle de la langue, désir d’aller à la ville, parents en déplacements réguliers de longue et moyenne durée…) et peu mobilisables durablement tant que la démarche n’est pas viabilisée économiquement..
La solution ? Former. A partir d’une évaluation des compétences juste, une capitalisation sur les savoir, les savoir faire et les savoir être existants et un objectif pertinent. Ceci signifie être aussi dans la précision et la vérité dans l’affichage des compétences.
5.5. L’acceptabilité, et donc la légitimité, des logiques remontantes.
La démarche est libre, spontanée, sans impulsion institutionnelle, ce qui limite ses appuis potentiels et ses porte-paroles. Mais elle ne peut se passer des autorités ayant compétence sur le territoire concerné ni des autorités d’échelles supérieures nationales et internationales. Il faut donc que les responsables sachent de quoi il retourne dès l’origine et que se forge dès les premiers moments une communauté de destin et/ou d’intérêts. Les territoires de projet et de résolution des problèmes, constitutifs de la démarche, doivent s’articuler avec les administrations territoriales. C’est un enjeu important, qui découle également du niveau de démocratie représentative des échelons concernés. ALTICOBA21, en réalité, doit être vu comme un instrument au service d’une démocratie revivifiée réservant le rôle d’arbitrage à la représentation élue.
5.6. La reconnaissance d’une qualité territoriale de territoires responsables.
Une reconnaissance internationale permettrait d’augmenter une visibilité et donc un potentiel de développement. Cette reconnaissance pourrait être certificatrice (elle devrait l’être), garantissant pour la communauté et les visiteurs une direction de progrès dans la qualité des démarches. Cette notion de « qualité territoriale », permettant de signaler une approche cohérente multi-acteur et multidimensionnelle peut paraître abstraite. Mais les actions, elles, sont concrètes : vraie implication des personnes, qualité des produits et des prestations touristiques, organisation de proximité, comportements respectueux, qualité relationnelle, solidarité, préoccupation par rapport aux ressources naturelles et à l’environnement… Cette qualité territoriale pourrait rassembler des référentiels issus d’organisation de la gouvernance publique (UNESCO, OMT-charte éthique, PNUE…) et de la société civile (WWF).
5.7. Maintenir une logique de cohérence dans le temps.
Les risques centrifuges – perte de cohérence et finalement de sens – augmentent avec le nombre de partenaires. Il faut donc être comptable collectivement de l’utilisation des ressources financières, et pour cela favoriser la responsabilité partagée sans se décourager des retours en arrière subis, inattendus, des pressions sur l’utilisation des financements ou le choix des orientations, de la frustration transformée en jalousie : « Pourquoi ces personnes ? », « Pourquoi ce village ? », « Pourquoi cette région ? ».
Partager, déléguer, pour ne pas tout faire reposer sur les épaules des leaders et réexaminer les procédures et les temporalités sont deux des pistes de solutions à cette question.
5.8. Passer de l’expérimental au général n’est pas un pourcentage d’agrandissement.
• En 2003, il a fallu une année pour concevoir, collectivement, l’agenda 21 local d’Assamo et la rotation du personnel des caravanes était important. Le travail a été fait finement, longuement, avec minutie.
• En 2005, les guides des caravanes tournent moins, mais deux sites sont engagés dans la démarche.
• Demain, grâce aux financements extérieurs, les caravanes seront peut-être moins dans l’épure mais les territoires anciens et nouveaux connaîtront un dynamisme créatif inégalé.
Le basculement d’échelle oblige à reprendre le chantier de fond en comble et, d’une manière systémique, analyser intégralement la nouvelle situation. L’exportation ne peut être qu’une évolution, avec de nouvelles pratiques individuelles et collectives établissant les bases d’un autre paradigme.
5.9. Apprendre à pêcher plutôt que de donner du poisson : une lutte contre la tyrannie du concret.
Désenclaver un village, éradiquer le paludisme : deux actions de progrès, légitimes et a priori sans revers. Et pourtant…
« La société des Aurès que Germaine Tillion a connue « équilibrée et heureuse dans sa tranquillité ancestrale » s’est clochardisée en moins de vingt ans. La faute à quoi ? « Rien ou presque. » Les Français, croyant bien faire et porter l’œuvre civilisatrice de la France, ont pulvérisé du DDT sur les étangs pour combattre le paludisme et le typhus et construit une route pour casser l’isolement de la région [un village des Aurès, Algérie, dans les années quarante]. Puis ils sont repartis chez eux. Ces deux innovations ont alors produit une réaction en chaîne. L’éradication du typhus va d’abord provoquer une explosion de la démographie. En une génération, la population s’est multipliée. Pour y faire face, les pasteurs ont voulu augmenter leur cheptel. Mais celui-ci a rapidement détruit les sols. Grâce à la route, certains ont exporté leur surplus. Quelques-uns se sont enrichis ; d’autres se sont endettés et parfois ruinés. Les inégalités sont apparues, les plus riches ont envoyé leurs enfants à l’école du chef-lieu. La tradition coranique s’est vite trouvée dévalorisée.
Ainsi, comme une population détruite par une épidémie, « la société traditionnelle s’est-elle désintégrée à ce léger contact, à ce simple frôlement de la civilisation occidentale . » »
La couverture médiatique et généreuse de l’humanitaire, l’exigence de résultats concrets, visibles et mesurables, le recours systématiques aux experts étrangers, le maintien d’une positions d’assisté, l’émotion magnifiée - et nécessaire pour lever des fonds -, l’impatience politique… toutes les modalités du caritatif et du court terme sont à l’œuvre pour empêcher de penser à long terme, ce que réclament pourtant les experts pour qui « il faut en finir le plus rapidement possible avec cet assistanat – même si les médias et les ONG y trouvent leur compte – et tirer parti des ressources incroyables dont font preuve les victimes de catastrophe . » Ce qui est vrai pour les catastrophes l’est aussi pour la lutte contre la pauvreté et, encore plus, pour le développement durable.
6. Le développement durable vu d’en bas.
6.1. La conciliation des contraires.
Le développement durable est une tentative pour concilier des antagonismes ou détendre des tensions entre :
Le court et long terme – Ex. : appliquer une péréquation du fort au faible entre territoires, privilégier les circuits courts et les marchés de proximité (cas des clientèles touristique locales).
Le local et le global- Ex. : préserver des ressources naturelles pour le futur (cas du beira à Djibouti).
La simplicité de l’action et la complexité des situations - Ex. : pratiquer une pédagogie du développement durable. (hiérarchie des priorités, cas de l’eau).
L’unicité et la diversité - Ex. : respecter la spécificité dans les cultures et les modes d’organisation sociale.
La responsabilité individuelle et collective - Ex. : décider et réaliser à l’échelon le plus pertinent (subsidiarité).
L’externalisation et l’internalisation- Ex. : raccourcir la chaîne production-consommation.
Le particulier et le générique- Ex. : construire à partir des demandes, des espoirs, des atouts et des contraintes.
Le privé et le public - Ex. : les ressources rares, l’eau, l’air, le sol, la biodiversité…
Les enjeux sont donc d’une part la co-construction de réponses à des problèmes immédiats et à venir potentiellement et d’autre part une efficacité de réalisation dans cette intention.
On perçoit vite que le décalage est grand entre les obstacles institutionnels, comportementaux, sociologiques, « humains » au développement durable ou responsable et les solutions régulatrices majoritaires d’aujourd’hui - les normes, règlements et labels -. Il s’agit donc plus de promouvoir une éducation , celles de relations moins matérialistes, marchandes et excluantes entre groupes humains.
6.2. Les marges de progrès vers le développement durable sont celles de chacun dans sa sphère d’influence.
ALTICOBA21 peut influencer, mobiliser, sensibiliser, questionner au Sud comme au Nord. De ce point de vue, il a plus une valeur de pédagogie, à travers l’examen attentif du réel, qu’une contribution significative directe à la résolution des questions générales. Par ses quatre grands référentiels - économie, socio-organisation, durabilité/responsabilité et critères d’accompagnement (exemple en fin de document)- et le parti pris de mettre la personne au centre du dispositif, la méthode re-introduit le qualitatif et le relationnel dans la mesure de l’engagement « durable » : « Nous sommes ce que nous mesurons, il est temps de mesurer ce que nous voulons être » (Maureen Hart). L’agenda 21 local préconisé tente de prendre en compte, dans une logique remontante, le caractère systémique des réponses à apporter à des problèmes complexes multidimensionnels. Dans cette perspective, l’entreprise, qui endosse une part de l’intérêt partagé en y allouant des ressources humaines et financières, devient un agent de changement collectif à base économique. Elle a inventé, dans un dialogue constructif avec les ONGs, l’éco-conception. Elle peut aussi s’engager dans la socio-conception. Plus largement, c’est un esprit d’entreprise qui doit être véhiculé non seulement par l’entreprise mais aussi les animateurs, les associations et même les habitants du territoire.
De ce point de vue, la transversalité du développement durable et du territoire doit avoir son écho dans la transversalité dans l’organisation, la gestion et les profils. C’est, toute proportion gardée, des « entreprises hors les murs », des « associations hors les murs » et des « administrations hors les murs » qu’il faut préfigurer, balbutier, expérimenter. Ce qui veut dire, de la maternelle aux grandes écoles, apprendre et pratiquer l’essentiel, l’intelligence collective et holistique.
ALTICOBA21, très modestement, est une méthode pour susciter et faire germer ces ferments d’initiative « hors les murs ». Elle permet la création d’une jurisprudence de fait et construit la légitimité d’une co-responsabilité dans la création d’un projet territorial partagé qui, par son mécanisme aller-retour théorie pratique, instaure un pilotage de l’amont par l’aval en rapprochant le niveau de décision du terrain.
Plus généralement, les notions de contrat - oral, écrit, moral, de confiance…-, de valeurs, d’identité et de liens entre les effets des procédures et les procédures, les logiques et les temporalités disjointes, les modes de participation, le statut des éléments actés, les rapports entre les autorités en général et les habitants… sont des éléments revisités obligatoirement dans la méthode. C’est une culture de la responsabilité, et donc du sens, qui en découle. Mais au-delà des constructions, des trajectoires et des procédés, c’est la conviction créative et le désir raisonné qui sont au cœur de l’engagement de chacun. De ce point de vue les limites évidentes d’ALTICOBA21 sont d’une autre nature : culturelles.
Quelques effets de la dynamique ALTICOBA21 à Assamo (Sud), Ardo (Nord) et à Djibouti en général de 2002 à 2005.
Le plan du texte suit les grands domaines d’évaluation définis dans le cadre de la démarche (document de méthodologie T2D2). Les faits rapportés sont extraits des 7 rapports de mission d’avril 2002 à mars 2005.
Le terme “faits” regroupe des actions réalisées et abouties, des actions en cours de réalisation et des projets d’actions, dans la mesure où les moyens de réalisation n’ont pu être ou ne sont pas encore mobilisés.
Renforcement
Capacitation
·Montée en puissance des femmes (une association “Ho-Yow”, implication dans l’organisation des coopératives et dans les réunions formelles)
Effets de la participation de personnes ressources à des évènements extérieurs (FITS 2003, forum T2D2 du 8juin 2005) : rapprochement avec les autorités locales, réunions, nouveau règlement intérieur de l’association, rédaction d’un guide du jardinier.
Echanges d’expériences (atelier UNESCO/MAE) de façon à favoriser le transfert direct entre acteurs de terrain de régions et de langues différentes.
Passage du stade expérimental à un niveau national (même atelier) : programme d’appui en découlant (REXCER).
Formation aux techniques agricoles : fabrication de fromage à partir du lait de chamelles…
Promotion
Présence dans divers médias : ARTE TV, articles Alternatives Economiques, Trek Magazine, France Culture, RTD (Radio Télévision de Djibouti)…
Pilotage
Appui du réseau T2D2 (2 missions par an soit environ 145 jours avec 178 pages de rapports illustrés depuis avril 2002), renouvellement des méthodes de coopération extérieur-local (suivi et appui à distance sous forme de mobilisation de partenaires tels que l’Ambassade de Djibouti à Paris ou la DGCID/MAE), nouvelles procédures de financement (mécanisme de forfaitisation annuelle pour les interventions techniques et les missions de suivi-évaluation).
Socio-organisation
Contractualisation
Charte ALTICOBA21, engagements écrits, demandes et engagements plus formalisés…
Participation
·Partenariats diversifiés : avec le Centre d’Etudes et de Recherches de Djibouti, les FFDJ (Forces Françaises Stationnées à Djibouti), le Rotary Club, l’Ambassade de France à Djibouti et de Djibouti à Paris, l’UNESCO (siège et Commission Nationale), des entreprises (agences), des associations…
·Mobilisation : pour la première fois, les femmes du village participent spontanément et en nombre en septembre 2005 au charriage des premiers matériaux pour l’édification du micro-barrage ralentisseur sur le cours de l’oued Chabel.
Co-opération
Evolution de la “Fi’ima” afare [la “fi’ima est forme de solidarité traditionnelle unisexe entre classes d’âge qui fait caisse commune pour les évènements familiaux] vers une forme inédite de cotisation pour les projets de développement.
Création de coopératives de femmes.
·Relations nouvelles entre sites d’application : jumelage (de nature politique), visite d’étude de EVA (région d’Adaïlou au nord) à Assamo…
Les comportements de solidarité diffusent : le village voisin de Guistir participe aux réunions avec quelques représentants, un jumelage est réalisé avec le site d’Ardo au Nord, des échanges de compétences se font (apiculture, construction de gabions). Des contacts inédits entre le Sud et le Nord s’organisent.
Solidarité
Revenu sécurisé pour l’aveugle du village, sous-location pour raisons sociales…
Mobilisation des fonds de l’association pour un décès
Sous-location de dromadaires pour augmenter les revenus d’un guide à l’occasion de son mariage
Opération de micro-crédit à partir des fonds solidaires reversés à l’association.
Economie
Retombées primaires
Environ 600 clients sur la période 2002-2005.
6 à 8 catégories d’activités rémunérées par caravane : propriétaire chamelier, guide chamelier, cuisinier, responsable bois de feu et entretien bivouac, responsable nettoyage, opérateur national, opérateur local, TO national – (au lieu de 3 ou 4 habituellement).
Rotation des guides et des propriétaires chameliers en fonction de l’équilibre ethnique et des nécessités de solidarité.
Construction d’un réceptif rural “modèle” au point de vue gestion des ressources rares : économie de bois (bois d’eucalyptus, foyer amélioré), économie d’eau, recyclage eaux usées.
Nouveaux produits touristiques
3 niveaux de caravanes - famille, découverte, exploration -, écostation, circuits de découverte faunistique, circuit géologique, circuit botanique (à l’étude).
Circuit intégré de niveau national mettant en relation différents villages et campements ruraux (circuit proposé dans le guide du tourisme indigène. Indigène Editions).
Retombées secondaires
Développement des métiers satellites : éleveur de cabris, maraîcher (vente de fruits et de légumes).
Réhabilitation des voies d’accès.
Transformation de la production agricole : valorisation des fruits en confiture (8 fois le prix/kg), fabrication de coulis de tomates.
Diversification agricole : production de miel, plantes fourragères, plantes à feuilles larges pour la couverture des toits de l’écostation.
Diversification de l’artisanat : nouveaux marchés pour l’artisanat à Djibouti, projet de transfert de compétence en poterie dans le cadre du projet d’extension des foyers améliorés, nouveaux produits (fresques en pierres de couleur) ou produits dérivés d’objets traditionnels (sandales nomades géantes, sets de table fabriqués avec la technique et les matériaux des alols – matériau de couverture des huttes issa-somalies), nouvelle matière (cuir séché), projet de renforcement et de soutien de l’artisanat….
Maintien d’une tradition chamelière avec une double orientation : une nouvelle valorisation économique (par le tourisme) et une valorisation culturelle (certaine fierté, tradition fondatrice préservée, même sous une forme adaptée et détournée de la fonctionnalité initiale : la transhumance des troupeaux).
Augmentation du chiffres d’affaires des boutiques du village d’Assamo, qui pratiquent le paiement différé.
Transfert d’un savoir-faire nouveau dans la région : fabrication de gabions pour la réalisation du micro-barrage (gestion durable de l’eau souterraine) avec de ce fait accès à l’important marché de protection des berges d’oueds financé par l’aide internationale (programme PNUD, Banque Mondiale…).
…
Responsabilité intergénérationnelle
Gestion rationnelle
Gestion durable des ressources souterraines en eau douce par réalisation de ralentisseurs de surface destinés à favoriser la recharges des nappes lors des crues épisodiques.
Création de jardins fourragers pour conserver le potentiel génétique (quelques essais), en lien aussi avec le volet biodiversité.
Systémie
Agenda 21 local, volets cohérents, hiérarchie des actions, accroche institutionnelle “transversale”, effet “territorial” constaté dans les politiques nationales (éducation en milieu rural), changement dans les mentalités et encouragements à voir plus loin et large (Ardo), évolution du ministère de l’éducation sur la question de la gestion participative de ses écoles rurales.
Environnement
Propreté et qualité des sites, des parcours et des bivouacs. Maintien d’une qualité paysagère par l’utilisation des matériaux locaux et des techniques traditionnelles pour le réceptif (écostation).
Projet d’extension de la technique des foyers améliorés du village de Hol-Hol au village d’Assamo puis de Guistir.
Projet d’amélioration des techniques de plantation et d’irrigation au niveau de la coopérative agricole du village d’Assamo.
Système de récupération et d’utilisation des eaux domestiques, utilisation de bois plantés (eucalyptus, Ethiopie) pour l’écostation.
Biodiversité : étude de la gazelle beira en cours pour un objectif de conservation in situ ce qui implique un travail en profondeur sur l’exploitation des ressources pastorales par l’élevage. Les visites encadrées concernent 3 familles.
Fontes :
Chantier Territoires