Rio+20: Progrès ou procrastination?
Judith Hitchman, Martine Theveniaut, juillet 2012
Rio+20 : progrès ou procrastination?
Par Judith Hitchman
L’optimisme inné et l’espoir sont des composantes fondamentales de l’état d’esprit des militants et militantes, même en sachant qu’une situation donnée est fort peu propice au succès… Et ayant passé les 6 semaines précédant RIO+20 à traduire l’excellente analyse des processus et des résultats potentiels de Pierre Radanne, j’étais, comme tant d’autres, fortement sceptique concernant ce qui était réalisable à travers les canaux officiels du Sommet des Nations Unies. La règle de base du consensus a débouché depuis trop longtemps sur un refus total d’adopter toute politique réellement éclairée et prospective. Les propositions sur la table ont été progressivement vidées de tout potentiel d’action sur les questions de changements climatiques au fur et à mesure que les négociations progressaient dans le compte à rebours vers la tenue de la Conférence officielle.
Mais après deux longues semaines passées à Rio, je repars avec un sentiment relativement optimiste. Je vais vous en expliquer les raisons.
Comme doivent le savoir la plupart de nos lecteurs, deux rencontres parallèles se tenaient à Rio: la conférence officielle de Rio+20 s’est déroulée dans la banlieue de Rio, et le Sommet des Peuples, en plein centre-ville, dans le Parc Flamengo. Une interface entre les deux existait à travers les “groupes majeurs” de la société civile et les lobbies de plaidoyer.
Depuis vingt ans, depuis la Conférence de Rio sur le développement durable de 1992, les institutions des Nations Unies n’ont pas réussi à marquer des progrès sur cette question critique. Et même si un accord est sorti de cette conférence, celui-ci ne démontre pas beaucoup de progrès: il est même en régression sur les accords de 1992…
Mais ces mêmes vingt années ont vu la montée en puissance progressive et la capacitation de la société civile qui opère avec une matrice de plus en plus complexe du sectoriel et des échelles territoriales, du local au global. Ce mouvement inclut le Forum Social Mondial et ses axes thématiques aussi bien que le mouvement plus récent des Indignés. Il inclut aussi un élément de plus en plus fort de mouvements sociaux organisés et interconnectés.
Les questions de la crise mondiale de notre civilisation et celle du changement climatique ont été abordées ensemble lors du Sommet des Peuples d’une manière nouvelle et significative, avec de vraies solutions mises en avant comme ensemble plus cohérent que jamais. Ma préoccupation en début de semaine était de savoir comment – et si – la tendance qui a émergé des Forums Sociaux de tenir des Assemblées de Convergence allait réussir à engager une action unitaire qui vise la continuation de cette dynamique: il existe tellement de cas et de causes spécifiques… Mais au fur et à mesure que les jours s’écoulaient, l’ambiance à Rio Centro, là où se tenait la Conférence officielle, devenait de plus en plus déprimée et déprimante, celle à Flamengo était de plus en plus électrique et chargée d’une énergie telle que je n’en avais pas rencontré depuis de longues années… Oui, il y a une volonté de surmonter les différences internes et de saisir notre destin à bras ouverts pour agir ensemble…
Les voies qui émergent sont celles des actions reliées entre elles, locales et qui portent les droits en avant, pour avoir un réel impact sur les sociétés au sein desquelles nous vivons, et réaliser une transition vers des sociétés durables à tous niveaux. Il n’y a plus de projets isolés, mais un mouvement mondial plus conscient. Cela inclut tous les secteurs clés : la Souveraineté alimentaire par l’agriculture paysanne basée sur l’agro-écologie, l’Agriculture Soutenue par la Communauté, reliées à la défense des semences traditionnelles et des plantes contre la biopiraterie et les brevets, la réforme agraire, et la défense massive des Biens Communs, autant de solutions économiques portées par les différents pans de l’économie solidaire (grâce en grande partie au Forum Brésilien de l’Économie Solidaire), qui n’est plus présentée comme une économie de réparation, mais comme celle qui apporte de véritables alternatives humaines… La Via Campesina et le Mouvement Brésilien des Sans Terres (MST) étaient massivement présents, ainsi que la Marche Mondiale des Femmes, les syndicats et bien d’autres organisations plus petites qui défendent les Biens Communs et les droits sociaux et humains des peuples.
En passant cela vaut la peine de mentionner que le Conseil d’Administration du RIPESS (Réseau intercontinental pour la promotion de l’économie sociale et solidaire), avec qui je m’étais rendue à Rio, a eu une excellente réunion prometteuse avec le nouveau ministre français pour l’Économie Sociale et Solidaire, Benoît Hamon. Il a clairement indiqué que si son ministère se trouvait au sein des murs de Bercy (le site du Ministère de l’Économie), que ce n’était pas pour que l’économie sociale et solidaire soit considérée comme supplétive. Sa perception du secteur est que l’économie solidaire a mieux résisté aux crises actuelles que l’économie de marché, ce qui mérite donc des investissements et du soutien accrus. Une alliance avec les autres pays ayant des ministères de l’Économie Solidaire, dont l’Équateur et le Brésil est dans l’air du temps…
Le point d’orgue du Sommet des Peuples fut la manifestation de 80 000 personnes, bruyante mais paisible dans les rues de Rio… Je crois que c’était la plus importante manifestation à laquelle j’ai jamais pris part. Ainsi que les excellentes déclarations apportées au Secrétaire Général des Nations Unies et au monde entier.
Oui, l’avarice des intérêts néo-libéraux influe sur des pays tels que les États-Unis, le Canada, et l’Australie, et les incitent à opposer leur véto à toute mesure contraignante qui pourrait obliger la société à réduire sa dépendance aux énergies fossiles et leur production orientée par la croissance. Oui, les pays BRIC (Brésil, Inde et Chine) argumentent avec force leur droit au développement en suivant dans les traces des pays qui se sont déjà développés par le passé. Cependant, je crois que nous ne devons surtout pas sous-estimer le pouvoir combiné ni la détermination de la société civile en tant que mouvements sociaux organisés de prendre les choses en main et d’agir de manière concertée sur le plan local, d’exercer des pressions sur les gouvernements par la base et d’effectuer des plaidoyers par le haut auprès des institutions pertinentes, pour mettre en œuvre des moyens pour changer notre société avant qu’il ne soit trop tard. Ces changements devront s’adresser à toutes les dimensions de notre société: non seulement aux questions énergétiques, mais aussi aux modes de production et de consommation, les questions sociales et celles des droits humains. Nous devons apprendre à changer notre approche collective et manière de vivre en société. Et les valeurs des divers mouvements sociaux présents au Sommet des Peuples portent un message clair et déterminé. Jamais un message aussi cohérent n’avait auparavant été porté collectivement par la société civile aux gouvernements du monde entier et aux institutions des Nations Unies.
Déclaration du RIPESS (FR-EN-ES)
Note de décryptage de Rio + 20 par Pierre Radanne (FR + EN)
www.association4d.org/article.php3?id_article=697
Peoples Sustainability Treaties (EN)
sustainabilitytreaties.org/process/
Sommet des Peuples (EN-FR-ES-PT)
« RIO+20 étendu » : le 20 juin 2012, trois heures de dialogues citoyens mettent l’expertise d’usage des praticiens à l’honneur.
Par Martine Theveniaut
Objectif de la rencontre
Le projet du Rio+20 étendu est d’installer des relations entre « Ici » et « Là-bas » : « Ici, ce sont les territoires où nous vivons en France, jusqu’à l’Europe - espace d’une communauté de destin et d’une citoyenneté politique. Là-bas, ce sont les relations à longue distance qui traduisent notre citoyenneté mondiale en devenir ».
Membres du Collectif Rio+20, les P’actes Européens organisent en France, le 20 juin 2012, une rencontre intitulée: « des actes, des projets pour l’ancrage territorial et la participation démocratique d’un développement durable » grâce aux technologies de communication et avec des logiciels libres. Cinq territoires dans cinq Régions de France y participent, dans des échanges horizontaux « entre pairs ». Un sixième, la Région de Bretagne, est connecté au Pavillon de l’Etat de Rio de Janeiro dans le Parc des Athlètes et accueille une délégation de jeunes de La Ligue de l’Enseignement.
Pourquoi mettre le projecteur sur l’expertise d’usage? Parce que la parole des praticiens est rarement sollicitée et que, dans la multitude des discours, le Local reste fondamentalement vu d’en haut. Or, si le Local et le Global sont interdépendants, c’est à l’intérieur du local que les choses se passent, à la fois très complexes… et très concrètes! L’évènement veut montrer comment des citoyens-acteurs (habitants, associatifs, élus, entrepreneurs, syndicalistes, chercheurs) engagés au quotidien de façon collective dans des actions de terrain produisent des résultats concrets, de la confiance et de l’expertise d’usage. Ces biens immatériels se multiplient en se partageant. En apprenant à coopérer, ils préfigurent des trajectoires pour une transition démocratique du social, de l’économique et de l’écologique.
Organisation
Dans chaque lieu, les promoteurs ont réuni des partenaires, des invités, et mobilisé la presse. Les rencontres sont découpées en trois séquences:
les leviers de la gestion locale des ressources,
la structuration d’une économie territoriale ouverte (secteur marchand, service public, tiers secteur, entraide bénévole),
l’organisation démocratique des réponses.
Les présentations illustrent une démarche et ses résultats sans occulter les obstacles de façon à en tirer des enseignements prospectifs et pédagogiques. Les questions de la transition sont abordées sous l’angle des énergies renouvelables, du foncier, de l’alimentation, de l’emploi, des méthodes de maillage.
Deux questions transversales structurent les temps de dialogues:
Quelle participation dans la gestion territoriale des problèmes du quotidien?
Quelle gouvernance aux multiples échelles?
L’objectif, est de faire progresser des solutions de portée plus générale, en France et en Europe, dans l’après-Rio.
Principales conclusions
Les dimensions globales:
Les problèmes sont considérables, le nombre des chômeurs énorme. Ce sont de très gros débats car chacun joue sa partition avec l’envie d’occuper son potentiel de croissance. Concilier la démocratie et l’environnement fait face à des risques lourds.
La reconnaissance des espaces territoriaux est une des clés de la solution pour faire bouger les choses dans le monde. Car, ni les Etats, ni les multinationales ne sont à même de définir, à eux seuls, des régulations équilibrées, et encore moins de les faire respecter.
Les solutions « remontantes » à partir des solidarités à la base:
La solidarité, c’est refuser l’inacceptable – ici et là-bas –, les yeux dans les yeux, avec détermination. C’est l’organisation des ressources.
Ce n’est pas tant le volume que le maillage qui produit des résultats et fait grandir.
L’économie plurielle et le développement local sont des vecteurs du changement : expérimentations radicales, relations de coopération de territoire à territoire permettent d’apprendre en faisant et de proposer sur la base d’exemples probants.
Le moment est venu de relier ces actions entre elles, de s’élargir… avec l’ambition de développer nos solutions, d’oser des projets plus grands pour changer le cours des choses… et construire l’Europe.
La méthode:
Ce scénario horizontal d’organisation à distance est pertinent pour faire la place d’une citoyenneté en action, dans un calendrier international commun.
La démarche stimule la prise de conscience des interdépendances,
Elle souligne le fait que la réussite se joue de façon singulière, selon les contextes, les ressources et la volonté de s’entendre d’acteurs en recherche de solutions.
Elle peut servir pour installer un dialogue structuré autour d’objectifs, à poser des jalons entre partenaires multiples de projets aux mêmes lieux et contribuer ainsi à recomposer des réponses, intersectorielles, sur un mode non hiérarchique.
Sources :
Bulletin International du Développement Local Durable n°90