De l’empreinte écologique à l’espace écologique
Construction d’un indicateur : comment s’épanouir dans les limites écologiques
Sylvain ANGERAND, mars 2011
L’empreinte écologique est un indicateur qui permet d’évaluer la surface de sol nécessaire pour produire les ressources consommées par une population et pour absorber ses déchets. Ainsi un européen a une empreinte écologique d’environ 4,8 hectares. En multipliant par le nombre d’humains, on constate que si tout le monde vivait comme un européen il faudrait trois planètes !
Or nous n’avons qu’une seule planète et c’est bien là la limite de l’empreinte écologique : à partir de là, que faut-il faire ? S’assurer que les plus pauvres n’augmentent pas leur empreinte écologique afin que le maintien voire le renforcement des inégalités nous permette de vivre tous sur une seule planète ? Une réponse plus juste consiste à introduire la notion d’équité : chaque humain devrait avoir le même droit d’utiliser les ressources. C’est le concept d’espace écologique.
Articuler sobriété et équité
La soutenabilité écologique, au sens scientifique du terme, se définit par la capacité de « portage» d’un écosystème. C’est-à-dire que les prélèvements de ressources et la production de déchets ne doivent pas excéder leur capacité de renouvellement et d’absorption. En conséquence, toutes les sociétés soutenables devront répondre à leur manière à deux impératifs:
la sobriété qui doit permettre d’utiliser tout type de ressource de manière à ne pas menacer sa disponibilité aujourd’hui et dans le futur ;
l’équité dans le partage des ressources au sein d’un même pays, entre les différents pays et les différentes générations mais aussi dans le partage des connaissances et des techniques entre les pays (notamment entre pays avancés et moins avancés).
Sobriété et équité sont mises en œuvre dans le cadre de l’espace écologique qui permet d’articuler satisfaction des besoins fondamentaux et préservation des écosystèmes. Il se définit comme la quantité de ressources naturelles (énergie, eau, minerais, végétaux…) et de territoire pouvant être utilisée de manière soutenable, à tous les niveaux, de l’individuel au collectif, du local au global.
La mesure de l’espace écologique
En pratique, il s’agit de définir pour chaque type de ressources un seuil minimum de consommation et un plafond maximum prenant en compte la capacité de régénération des ressources renouvelables et le stock de ressources non renouvelables.
Cet « espace écologique » se situe entre :
un plancher qui correspond au minimum de ressources dont chaque personne doit disposer pour couvrir ses besoins fondamentaux : accès à l’air, à l’eau (50 litres d’eau par jour pour boire ou se laver d’après l’OMS), à l’alimentation, à l’énergie, à l’habitat… mais aussi à la santé, à l’éducation, à l’information et à la culture ;
un plafond, au-delà duquel toute personne ou groupe utilisant une ressource empiète sur l’espace écologique d’autrui et sur celui des générations futures : par exemple en prenant en compte la capacité d’absorption naturelle de la biosphère, il faudrait que chaque humain n’émette pas plus de 2 tonnes de CO2 par an pour contenir les changements climatiques, or un français en émet plus de 6 tonnes et un habitant des Etats-Unis plus de 20 tonnes/an.
Lutter contre l’accaparement des ressources du Sud…
La logique de l’espace écologique peut s’appliquer pour de nombreuses productions. Par exemple, une production et une consommation minimum de papier est nécessaire pour l’éducation et faire vivre une démocratie (30 à 50 kg/an/personne) mais cette consommation doit être plafonnée. Aujourd’hui, en Europe, la consommation moyenne est de l’ordre de 200 kg/an/personne (à cause de la publicité et du suremballage essentiellement). Afin d’alimenter l’Europe en papier, d’immenses surfaces de terres situées en Amérique du Sud font l’objet d’un accaparement pour la plantation de monocultures d’eucalyptus. Ces plantations empiètent largement sur l’espace écologique des habitants de ce continent: de nombreux paysans sont privés de terres et de grandes quantités d’eau sont pompées par ces arbres. L’accès à l’eau et à la nourriture, deux besoins fondamentaux, sont donc remis en cause par la surconsommation d’autres personnes.
Respecter l’espace écologique de chacun conduit à questionner la façon dont s’organise le commerce international aujourd’hui car il conduit directement ou indirectement à un accaparement des terres des plus pauvres par les plus riches. Pour autant, si le concept d’espace écologique est indissociable d’une relocalisation forte des activités, cela n’est pas pour autant incompatible avec un commerce international, plus équitable, notamment pour certaines ressources inégalement réparties à la surface du globe.
… qui vise à satisfaire la surconsommation au Nord
De même, en matière de revenus, les excès de richesse et de misère sont insoutenables : il faut instaurer un revenu minimum d’existence garanti pour tous (plancher) et un revenu maximum (plafond) qui ne devrait pas être supérieur à un taux établi démocratiquement entre tous les partenaires concernés.
Depuis 1970, les inégalités de revenus et de patrimoine au sein des pays riches ont considérablement progressé. Les travaux de l’économiste Thorstein Veblen montrent que le creusement des inégalités est indissociable du problème de surconsommation. En effet, au-delà d’un certain seuil, consommer davantage ne permet plus de répondre à des besoins vitaux mais correspond à un désir de distinction sociale. C’est ce qu’il appelle la consommation ostentatoire. La différenciation de la société en différentes couches sociales, caractérisées par des écarts de revenus croissants, créerait une dynamique malheureuse où chacun envierait le niveau de consommation des personnes plus riches que lui. Consommer pour exister. Une réflexion à méditer quand on constate le nombre de ménages partout dans le monde qui préfèrent sacrifier leur budget alimentation afin de pouvoir acheter un écran plat ou le téléphone portable dernier cri. Cependant, consommer moins ne signifie par forcément vivre moins bien, au contraire. Plutôt que de posséder une voiture individuelle, pourquoi ne pas en partager une à plusieurs ou utiliser les transports collectifs ? Pourquoi ne pas exiger des constructeurs des ordinateurs qui durent longtemps et soient facilement réparables ou modifiables ? L’enjeu social de la réduction des inégalités rejoint donc l’enjeu écologique de la réduction de la consommation de ressources naturelles.
Pour que chacun puisse répondre à ses besoins fondamentaux, il est donc indispensable de réduire fortement la consommation dans les pays industrialisés dans les prochaines décennies et de la rééquilibrer entre les plus riches et les plus pauvres. Les consommations situées sous le plancher et au-dessus du plafond, et les modes de vie qui leur correspondent, sont insoutenables. Elles doivent progressivement disparaître en faisant converger l’ensemble des pays ainsi que chaque citoyen vers un espace écologique soutenable. C’est entre ces deux seuils qu’il est possible de créer des sociétés soutenables en faisant preuve de créativité et en s’adaptant aux conditions locales car il n’y a pas un modèle unique de société soutenable. Il y a des sociétés soutenables aussi diverses que les sociétés humaines peuvent l’être.
Sources :
D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html