Le Système brésilien de commerce juste et solidaire source d’inspiration
Etude de cas du livre Quel commerce équitable pour demain? 2009
luglio 2007
Juillet 2007 : une soixantaine d’acteurs du commerce équitable venus de plusieurs continents se retrouvent à Cuzco, au Pérou, pour discuter de la question des systèmes de garantie du commerce équitable. Ces acteurs, essentiellement des organisations de producteurs sud-américains, mais également quelques représentants asiatiques ainsi que quatre acteurs français appartenant à la Plate-forme française pour le commerce équitable (PFCE), sont réunis à l’initiative du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), l’une des plus grandes ONG françaises de solidarité internationale qui compte également parmi les membres fondateurs de la PFCE.
Durant toute une semaine, des conférences en séance plénière sont organisées chaque matin autour de différents thèmes : les objectifs du commerce équitable, ses critères, les systèmes de garantie, les problèmes d’accès aux marchés ainsi que ses impacts. L’après-midi, ces enjeux sont déclinés au sein d’ateliers plus informels autour des trois principales filières sectorielles du commerce équitable : l’alimentaire, le textile et l’artisanat. Ces journées de travail sont ponctuées de moments de détente pour rassembler tous les participants. La rencontre se déroule au Centro Bartholomé de las Casas (CBC), un centre d’accueil et d’hébergement qui accueille les communautés andines de passage en ville. Elle est donc aussi l’occasion pour le centre de faire connaître la culture et les problématiques de cette population pauvre et discriminée du Pérou.
Des rencontres plus directement liées au commerce équitable sont également à l’ordre du jour. Une journée « sur le terrain » est organisée, durant laquelle les participants peuvent soit rencontrer des tisserands andins travaillant l’alpaga, soit visiter une coopérative qui commercialise le maïs blanc de la vallée Sacrée. Durant la matinée, ils peuvent observer les modes de production traditionnels et constater la portée sociale de ces activités au sein des communautés organisées autour de ces savoir-faire. L’après-midi est consacré aux échanges et aux discussions sur le thème du commerce équitable au gré des questions et des attentes de chacun. Cette visite donne aux tisserands l’occasion de faire connaître leurs produits, voire de trouver d’éventuels acheteurs, mais aussi de partager les difficultés qu’ils ont à vendre leur production. Le soir de la visite, l’une des participantes colombiennes explique à quel point elle a été touchée tant par l’extrême précarité dans laquelle vivent ces communautés que par l’importance que prend le culte à la terre (Pacha Mama) et la solidarité dont elles font preuve. En revanche, pour les visiteurs de la coopérative de maïs, la rencontre a offert un regard nouveau sur le commerce équitable. Pour commencer, une brève présentation à la mairie de Calca permet au groupe de constater que la coopérative ne fait ni du commerce équitable ni de l’agriculture biologique. Toutefois, l’entreprise bénéficie d’une certification pour les produits d’origine : le maïs géant blanc de la vallée Sacrée ne pousse qu’à cet endroit du monde. Les membres du groupe étant particulièrement sensibles aux questions environnementales, ils essaient de comprendre pourquoi la coopérative n’a pas cherché à obtenir la certification biologique. Plus tard dans l’après-midi, alors que tous sont assis au pied des montagnes après avoir visité l’usine et dégusté du poisson grillé arrosé de chicha, une discussion s’ouvre sur les avantages et les inconvénients de s’engager dans l’agriculture biologique. Lorsque les participants essaient de convaincre les représentants de la coopérative des avantages de l’agriculture biologique en faisant valoir notamment le respect de la biodiversité, ils se retrouvent confrontés à des arguments économiques tels que la rentabilité ou le coût à concilier avec des exigences de qualité, dans la mesure où la coopérative exporte pas moins de 70% de sa production en Europe et aux États-Unis. Viennent alors les arguments d’investissements à long et moyen terme, de l’ouverture de nouveaux marchés et du respect des hommes et de l’environnement. Les trois représentants de la coopérative, tout en hochant la tête silencieusement, semblent néanmoins sceptiques et expliquent qu’ils n’ont de toute façon pas le soutien du gouvernement pour s’engager dans cette démarche. Sans l’appui de l’État, le commerce équitable et l’agriculture biologique risquent de demeurer marginaux au Pérou.
Cette journée dans la vallée Sacrée s’est révélée être une excellente préparation pour assister aux conférences du lendemain, consacrées aux systèmes de garantie du commerce équitable. Fabiola, coordinatrice du FACES do Brasil (Forum d’articulation du commerce éthique et solidaire), va offrir aux participants un nouveau regard sur la place de l’État dans le développement du commerce équitable. Le FACES do Brasil est composé de dixhuit membres, parmi lesquels des ONG, des syndicats urbains, des organisations paysannes, des organisations de producteurs et des organisations de commerce équitable. Il a été créé en 2001 par des organisations de la société civile brésilienne pour donner un cadre de réflexion aux pratiques de commerce équitable et solidaire au Brésil. Après cinq ans de consultation et de réflexion avec des organisations d’économie solidaire, de commerce équitable et des instances gouvernementales, dans différents États du pays, le FACES a défini des principes et des normes pour le commerce équitable brésilien et a proposé au Secrétariat national de l’économie solidaire (SENAES, organisme du ministère du Travail et de l’Emploi) d’entamer des discussions et des négociations afin de créer un système national de commerce équitable au Brésil.
Avec la participation de trois réseaux représentant la société civile et de troisministères, un groupe de travail s’est constitué pour fixer un cadre de régulation publique. Ce cadre a été mis au point au sein d’un projet de norme, toujours en discussion, pour créer le Système brésilien de commerce équitable et solidaire (SBCJS). Concrètement, il s’agit de permettre à des entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, reconnus comme tels par une commission nationale d’évaluation, de bénéficier d’un label en fonction de critères liés à l’agriculture biologique, à la qualité des produits et au modèle d’organisation.Mais la place de l’État dans ce processus de régulation est encore mal définie et fait l’objet de négociations. Le groupe de travail s’interroge en effet sur la présence de l’État dans le système en création et le rôle qu’il doit jouer dans un système public de régulation des relations commerciales. Trois cas de figure sont possibles. Dans la première situation, le gouvernement reconnaît comme agents régulateurs un ou plusieurs organismes externes au système. Dans ce cas, l’État peut se contenter de définir le SBCJS ainsi que les normes de contrôle, celui-ci étant délégué aux organismes privés (entreprises, ONG, organismes de la société civile, etc.). Dans la deuxième situation, l’État est l’unique promoteur et régulateur du système. Il définit le système, établit les conditions pour y participer et, de manière périodique, procède à un travail de monitoring et d’évaluation (vérification par échantillon). Les résultats de l’évaluation conditionnent l’accès aux bénéfices pour les acteurs. Enfin, dans la troisième situation, l’État est promoteur, régulateur et contrôleur du système, mais au travers de mécanismes qui assurent la participation des acteurs. Dans ce cas, l’État crée un système – donc reconnaît et normalise – et appelle la société civile à y participer en tant que bénéficiaire, mais aussi en tant que consultante dans la définition des instruments de régulation. Autrement dit, soit l’État intervient a minima et laisse libre cours au marché de la certification, soit il intervient et le contrôle devient alors le monopole de l’État, soit, enfin, l’État est garant d’un système participatif, laissant intervenir la société civile à tous les niveaux de régulation : la définition du concept, de l’objectif, des bénéficiaires, des normes, du système de surveillance et de contrôle. C’est cette troisième voie que soutient le groupe de travail, mais il reste encore beaucoup de travail pour convaincre l’ensemble des parties prenantes.
Déjà, le SBCJS remet en question la définition du commerce équitable dans une approche Nord-Sud. Ce système en voie d’être mis en place est très critiqué au Brésil, notamment par le mouvement des « sans-terre » pour qui le commerce équitable ne doit pas promouvoir les exportations ni la participation des grandes entreprises. Il s’agit donc d’instituer un commerce équitable avant tout brésilien dans lequel le consommateur se situe sur le même territoire que le producteur. Cette approche contient un élément central de la définition du commerce équitable : la relation de proximité entre le producteur et le consommateur. Le Brésil est alors considéré à la fois comme un pays producteur, mais également comme un pays consommateur ou acheteur.
Le système propose ensuite un modèle innovant de régulation : une régulation publique avec un système de vérification participatif qui suppose l’implication de l’ensemble des parties prenantes dans les processus de décision. Ce dispositif est donc relativement complexe et prévoit notamment vingt-sept commissions régionales dans la commission d’évaluation nationale afin que soient prises en compte les spécificités de chaque région. Ensuite, l’ambition du SBCJS suppose une forte solidarité et une collaboration entre les différents ministères impliqués. Le projet s’inscrit dans une politique publique interministérielle qui regroupe le ministère du Travail, le ministère du Développement agraire et le ministère de l’Environnement. Le ministère du Développement agraire, engagé depuis une dizaine d’années dans le soutien à l’agriculture biologique, gère un programme de renforcement des capacités en agriculture familiale auprès d’un million de familles.
L’objectif est d’intégrer ce programme dans le projet de norme porté par le ministère du Travail : l’agriculture familiale sera incluse dans la définition du commerce équitable, ou justo pour utiliser la terminologie brésilienne et espagnole. Une fois qualifiées d’économie sociale et solidaire par la commission, les organisations pourront par ailleurs bénéficier d’un programme soutenu par le ministère du Développement social dans le cadre de la campagne « Faim zéro ». L’objectif de cette politique d’achats publics est d’assurer la sécurité alimentaire des producteurs, et plus largement des citoyens, en payant à l’avance les produits. Pour l’inscrire dans le cadre du SBCJS, le ministère du Développement social discute avec les régions pour que leurs achats soient faits auprès d’organisations de producteurs solidaires. Vingt mille organisations sont déjà répertoriées dans une base de données nationale.
Le SBCJS propose des outils d’adhésion volontaire aux organisations de producteurs pour leur permettre d’inscrire leur travail dans une démarche de commerce équitable et solidaire. Ainsi, afin d’encourager leur implication, le système prévoit l’octroi d’avantages tels que des bénéfices fiscaux, l’accès aux marchés publics, la valorisation des produits, la hausse de la qualité des produits, l’augmentation des revenus, l’amélioration de la qualité de vie et des relations de travail, une gestion plus performante et de nouvelles pratiques autour de la fixation des prix (prix juste, coûts de production, coûts sociaux, coûts environnementaux, un rééquilibrage dans les négociations, des processus participatifs, l’organisation en filières productives ou en réseaux de production, la commercialisation et la consommation, la transparence, la consommation responsable ou encore la prise en compte des facteurs environnementaux).
Face à cet exemple du Brésil pour le moins novateur dans le secteur du commerce équitable, les questions des participants à la rencontre ne se font pas attendre. Qu’adviendra-t-il lorsque le gouvernement actuel, de gauche, ne sera plus au pouvoir ? La société civile n’est-elle pas dépendante de l’action gouvernementale pour institutionnaliser son projet ? Pourtant, l’autonomie vis-à-vis de l’État fait également partie de la définition du commerce équitable et solidaire du SBCJS. Bref, si le lobbying est toujours nécessaire pour inscrire la norme à l’agenda politique dans la mesure où elle devra être portée par un ministère et signée par le président de la république, le SBCJS est avant tout un projet politique porté par un mouvement social. L’objectif sur le court terme est de mettre en place un système légal, un système de contrôle social, incitatif, motivant et graduel pour permettre un changement politique et social dans la société brésilienne. Et ce système a d’autant plus de chance de voir le jour et d’être fiable qu’il est soutenu et promu par l’État.
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