Analyse de deux outils de financement solidaires français: La NEF et les CIGALES
Etudes de Cas « Microfinance et liens sociaux »
Pauline Grosso, ottobre 2001
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Microfinance et liens sociaux
Analyse de deux outils de financement solidaires français La Nef et les Cigales
Pauline Grosso – 5 octobre 2001
I – Le versant microfinance
Définition
« Ensemble de techniques et de méthodes qui visent à satisfaire les besoins de services en matière d’épargne, de crédit et d’assurance des populations exclues de l’accès aux ressources financières, avec l’objectif à terme de se pérenniser institutionnellement ». (Groupe Microfinance et lien social - 18/10/00)
Analyse
A - Satisfaire les besoins de services en matière d’épargne
La Nef : jouissant du statut de société financière, la Nef ne peut collecter de l’épargne court terme. Elle ne peut proposer que des comptes à terme de deux ans minimum. Pour pallier à cette difficulté, elle a fait alliance avec une banque à réseau de l’économie sociale, le Crédit Coopératif, qui lui permet d’offrir à ses clients une gamme plus étendue de produits (compte chèque et livret d’épargne à vue). L’épargne Nef est sous rémunérée par rapport à une épargne équivalente non solidaire. De plus, l’épargnant a le choix du taux à l’intérieur d’une fourchette ainsi que de l’affectation vers des types particuliers de public.
La Nef collecte de l’épargne au travers de parts de son capital, de ses trois comptes à terme, du livret Nef-Crédit Coopératif et du compte chèque Nef-Crédit Coopératif. En 2000, plus de 5000 sociétaires, 289 MF d’encours d’épargne.
Les Cigales : ce sont des clubs d’investisseurs, jouissant du statut d’indivision, composés de 5 à 20 personnes qui épargnent chaque mois dans un pot commun. Les liquidités en attente d’affectation sont placés sur un compte à vue, rémunéré ou non (souvent un compte Nef-Crédit Coopératif). En 2000, 98 clubs actifs répartis sur l’ensemble des régions de France (sauf quatre), 2,9 MF d’encours.
Comparaison :
Remarque générale sur l’épargne solidaire en France : contrairement à ce qui se passe dans la microfinance du Sud, il s’agit, en France, de satisfaire des besoins de services en matière d’épargne qui ne sont pas de nature quantitative mais qualitative. Tous leurs épargnants ont accès à des services d’épargne satisfaisants d’un point de vue technique - rentabilité, liquidité, sécurité. C’est sur l’aspect éthique de leur épargne que les clients sont insatisfaits et que les outils de finance solidaire apportent une réponse.
A la limite, d’un point de vue strictement financier, ces outils d’épargne sont plutôt moins intéressants pour les épargnants que les produits auxquels ils ont accès sur le marché :
Ces produits ont un faible réseau de distribution
Leur gamme est limitée
Le rendement financier, la liquidité et la sécurité sont en général inférieurs à ceux du marché pour des produits équivalents
Ces handicaps sont cependant limités. Le témoignage d’un épargnant de la Nef est parlant « nous avons fermé nos comptes dans la banque de proximité et sommes devenus des clients à 100% de la Nef. …. Pourquoi faire faux-bond à ce projet magnifique pour quelques inconvénients pratiques, d’ailleurs plus psychologiques que réels. »
Dès lors qu’il s’agit de satisfaire des besoins éthiques, intellectuels, on peut considérer qu’on rentre dans le champ du capital social puisque justement il ne s’agit pas de conforter un capital financier.
Extrait de la charte de l’Aldéa (à l’origine des Cigales) :
« …nous voulons imaginer un monde où chacun retrouve la liberté de conduire son destin et participe à l’économie de son environnement.
Dans de tels lieux, accessibles à tous, l’argent n’est pas le maître, mais l’instrument, la valeur individuelle n’est pas confondue avec la richesse matérielle…
B - Satisfaire les besoins de services en matière de crédit
La Nef : c’est un établissement de crédit, régi par la loi bancaire. Elle accorde des prêts moyen et long terme à des projets économiques, essentiellement de petites entreprises en création ou développement, mais aussi à des associations, municipalités, etc. Sa cible est constitué de « projets utiles » ce qui, certes, englobe l’insertion de personnes en difficulté, mais couvre en fait un champ bien plus vaste : culture, art, énergies renouvelables, santé, agriculture biologique… Sa gamme de prêt démarre à 30 000 F et peut aller jusqu’à plusieurs millions de francs. Les taux sont des taux de marché, voire légèrement supérieurs. En 2000 : 433 prêts accordés pour un montant de 81,6 MF (prêt moyen 190 000 F).
Les Cigales : ce sont des clubs d’investisseurs qui interviennent dans le financement de petites entreprises en création ou développement sous la forme de prise de participation au capital pour une durée de cinq ans. Du fait de ce mode spécifique d’intervention, elles ne peuvent investir que dans des sociétés de capitaux, ce qui limite fortement leur capacité d’intervention (la grande majorité des petites entreprises françaises ont le statut d’entreprises individuelles). Le montant d’intervention par Cigales est de 10 à 15 000 F. L’apport fait l’objet d’une convention mais la rentabilité de l’investissement n’est constatée qu’ a posteriori. En 2000 : 33 entreprises financées par 57 interventions (plusieurs clubs peuvent financer une même entreprise) pour un montant de 0,86 MF, soit 28,8% des encours.
Comparaison :
Les interventions sont très différentes : la Nef accorde des prêts à intérêt pour des montants qui peuvent s’avérer assez importants tandis que les Cigales font des apports en fonds propres pour de toutes petites sommes.
C - Satisfaire les besoins de services en matière d’assurance
La Nef : elle n’offre pas de services d’assurance à proprement parler. Si l’on considère la garantie comme une forme d’assurance, la Nef fait appel à une technique particulière, celle des groupes de caution. Il s’agit pour l’emprunteur d’identifier un certain nombre de personnes (familles, amis, clients et fournisseurs) qui acceptent de se porter chacun caution pour une fraction de son emprunt. En cas de difficulté de remboursement, chacun est appelé à payer à hauteur de son engagement de caution.
Les Cigales : elle n’offre pas de services d’assurance à proprement parler. Si l’on considère la garantie comme une forme d’assurance, les Cigales se protègent de leur risque de perte par le recours à un fonds de garantie France Active. Cette prise de garantie est supportée par le club et non par l’entreprise financée.
Comparaison :
Les services d’assurance (hormi la garantie) sont inexistants dans la finance solidaire française. Tout au plus, trouve-t-on un acteur (Habitat et Humanisme) qui propose un contrat d’assurance vie mais c’est en fait une forme d’épargne solidaire offerte aux épargnants et non une protection pour les bénéficiaires.
D - Avoir l’objectif à terme de se pérenniser institutionnellement
La Nef : créée en 1978 sous forme d’association, elle a choisi, sous la contrainte de l’évolution de l’environnement législatif et réglementaire, de se doter du statut d’établissement de crédit à agrément limité. C’est désormais une société financière soumise à un agrément Banque de France, tenue de respecter la réglementation prudentielle et les contrôles propres à tout établissement de crédit. C’est une contrainte lourde et coûteuse. Le capital minimum requis est de 15 MF. Après presque 15 ans d’exercice, la Nef arrive à dégager un résultat positif mais ceci n’est possible que grâce aux intérêts générés par le placement de ses liquidités qui excèdent largement le montant de ses engagements.
Les Cigales : le club n’est pas animé par une logique lucrative ni même d’équilibre des comptes. Les recettes sont potentiellement constituées des intérêts perçus sur les comptes courants d’associés, des dividendes versés et des plus values réalisées lors de la revente des participations. Or, ces recettes sont rares. Le plus souvent, il n’y a ni intérêts, ni dividendes. Quand aux cessions, elles se font souvent au nominal. Par ailleurs, les pertes sont relativement fréquentes (environ 25%) ; elles peuvent être couvertes à hauteur de 50% par un fonds de garantie France Active. Le club génère un certain nombre de dépenses non couvertes (affranchissement, photocopies, transports, cotisations à la fédération…).
Comparaison :
La Nef et les Cigales sont dans une logique très différente en terme d’institutionnalisation et d’autonomie financière. Néanmoins, elles ont en commun de s’inscrire dans une logique de non recherche du profit et de rémunération modérée de leurs sociétaires et membres.
Conclusion sur le versant microfinance
Une différence importante entre la microfinance au Sud et en France (où l’on parlera plutôt de finance solidaire), c’est que les clients épargnants et les clients emprunteurs ne sont pas issus du même public :
Les épargnants sont des personnes insérées dans le système économique qui se dirigent vers la finance solidaire par conviction et esprit de solidarité.
Les emprunteurs ont certes en général des difficultés de financement, mais un certain nombre d’entre eux choisissent ce type de structure de financement par idéologie. Ces outils sont perçus comme les financeurs naturels du secteur de l’économie solidaire. Il convient également de noter que les outils de financement solidaires sont très rarement les seuls intervenants financiers d’un projet.
Par ailleurs, si les outils de finances solidaires étudiés contribuent sans aucun doute à renforcer le capital social de personnes (comme nous le verrons ci-dessous), ils ne touchent pas expressément les couches les plus défavorisées de la population.
II – Le versant liens sociaux
A - Liens sociaux
Définition
Les liens sociaux sont les relations qui existent entre les individus et les groupes. Ils peuvent être horizontaux - innés - (familiaux, ethniques, religieux) ou verticaux – créés par des gens ayant des intérêts ou objectifs communs. (Pôle socio-économique, groupe 6 Finance solidaire)
Analyse
La Nef : Les cercles de caution dont nous avons parlé ci-dessus, impactent directement sur ce type de liens puisqu’ils renforcent l’emprunteur dans son projet. Au delà de l’aspect financier (protection contre le risque de contrepartie), c’est clairement un plus humain pour renforcer le tissu social autour du créateur.
L’‘emprunteur est suivi avant et après le financement par des salariés de la structure, occasionnellement des bénévoles. Cependant, l’accompagnement est souvent externalisé auprès de réseaux spécialisés type Boutique de gestion.
La Nef fait de la transparence son cheval de bataille : cela se traduit notamment par la publication de l’intégralité des prêts accordés avec un descriptif de chaque emprunteur. Chaque épargnant de La Nef (plus de 5000 sociétaires) y a accès et peut potentiellement devenir client ou soutien du projet financier. Dans le bulletin de la Nef (Vif argent), les sociétaires sont invités à aller à la rencontre des porteurs de projets soutenus par la Nef et à faire partager leur expérience à l’ensemble des lecteurs.
Les Cigales : l’emprunteur rencontre les 5 à 20 membres du club qui sont autant de nouveaux contacts. Chacun d’entre eux fouille dans son carnet d’adresse et dans ses connaissances pour apporter de nouvelles références utiles au porteur de projet. Selon l’activité développée (ex. restauration), ce sont aussi de nouveaux clients directs potentiels. Par ailleurs, deux cigaliers tiennent le rôle de « parrain ».
Comparaison :
L’apport principal des Cigales comme de la Nef est de faire entrer l’emprunteur dans un réseau humain et financier. Ils contribuent à développer des liens sociaux essentiellement verticaux. Néanmoins, en accordant leur confiance à des emprunteurs, ils peuvent contribuer à améliorer la relation de ce dernier avec ses proches (liens horizontaux) en l’aidant à se fortifier.
Le réseau financier est constitué essentiellement constitué des autres financiers de l’économie solidaire, mais peut comporter une mise en relations avec des banquiers classiques ouverts sur ce type de démarche. Indépendamment de toute mise en relation, en renforçant la structure financière du projet, l’apport financier solidaire joue un effet de levier pour des apports complémentaires « classiques ».
Le réseau humain est constitué par « l’ouverture du carnet d’adresse » tant professionnel que personnel des financiers solidaires.
La Nef comme les Cigales disposent d’un bulletin de liaison, reflet des initiatives et des expériences des épargnants et projets financés.
B – Capital social
Définition
Le capital social se définit comme la capacité des personnes à coopérer et à agir ensemble afin de réaliser des objectifs communs. Il naît de l’interaction entre les valeurs des personnes concernées et les processus des institutions qui valorisent les liens sociaux et rendent une coopération possible. La capitalisation sociale est possible quand les valeurs peuvent s’exprimer : pouvoir, bien-être, compétences, respect, sentiment d’appartenance…(Pôle socio-économique, groupe 6 Finance solidaire)
Analyse
La Nef : Une fois le financement accordé, l’emprunteur fait l’objet de relations suivies (voir ci.dessus).
Les Cigales : deux des épargnants tiennent le rôle d’interlocuteurs privilégiés, chargés d’entretenir les relations entre le club et l’emprunteur. Ils assistent aux assemblées générales de la société financée, ont un contact régulier (trimestriel ou mensuel) avec le créateur. Ce suivi va au-delà du simple intérêt financier de prévention du risque. Il est motivé par l’envie de faire un bout de chemin avec le créateur, de l’accompagner pour l’aider à passer les caps difficiles de la création.
Comparaison :
D’entrée de jeu, de part l’objet même des financiers solidaires, le porteur de projet est accueilli avec un capital de sympathie et d’ouverture à son projet. Son éventuel atypisme ou faiblesse d’un point de vue classique en fait ici un atout. Le créateur est amené à décrire son projet et à le mûrir. Il reçoit une écoute bienveillante. Les questions ne sont jamais faites pour le déstabiliser mais pour l’amener à s’améliorer. Même en l’absence de financement, le simple échange avec ces financiers contribue à renforcer la confiance de la personne en elle-même.
Une particularité des finances solidaires, bien visible à la Nef et dans les Cigales, c’est qu’elles contribuent à renforcer le capital et les liens sociaux des épargnants. Ce n’est certes pas destiné à la réinsertion de personnes exclues, mais présente un intérêt certain pour l’ensemble de la société en termes d’école de citoyenneté et de démocratie, comme moyen de formation et d’enrichissement intellectuel et émotionnel, à défaut d’enrichissement financier.
C - Entraide et solidarité
Définition
L’entraide contient l’idée d’échange et de réciprocité, la solidarité est plus unilatérale.
Analyse
La Nef : La Nef est née d’un groupe de personnes qui souhaitaient s’entraider et expérimenter les idées sociales et économiques de Rudolf Steiner, philosophe autrichien (1861-1925). Elle était au départ cantonnée au financement de projets issues de la mouvance anthroposophique.
Par la suite, elle s’est ouverte et a évolué vers une structure de solidarité, où des personnes ayant des ressources les ont mis à la disposition d’autres qui en avaient besoin sans que ces dernières n’appartiennent à leur réseau d’entraide.
Les Cigales : Les Cigales sont nées d’un groupe de personnes réunies au sein de l’Aldéa (Agence de liaison pour le développement d’une économie alternative) qui souhaitaient transformer l’économie, en modifiant notamment la gestion de l’épargne. Il ne s’agit pas seulement d’aider des entreprises alternatives mais aussi d’autogérer son épargne. La démarche est clairement solidaire.
Comparaison :
La Nef et les Cigales se veulent toutes deux des outils de transformation sociale. L’entraide existe, plutôt entre épargnants, parfois entre emprunteurs ; la solidarité est clairement exprimée.
D - La notion de groupe
Définition
La microfinance au Sud fait constamment référence à la notion de groupe, souvent à la base des systèmes d’épargne et de crédit.
Analyse
La Nef : La Nef accorde des prêts à intérêts à des individus ou à des entreprises collectives. La notion de groupe trouve ici une application particulière au travers des cercles de caution. La Nef demande à l’emprunter de réunir autour de lui un certain nombre de cautions, chacun pour une fraction de son prêt. Ce système, à la différence de la microfinance au Sud, ne demande pas aux emprunteurs de se porter caution entre eux (ils ne se connaissent pas, venant de toute la France et de tous les secteurs) mais demande à l’emprunteur de mobiliser la confiance et l’argent de gens qui le connaissent, en d’autres termes, d’activer ses liens sociaux.
Les Cigales : Les Cigales interviennent sous forme de participation au capital de sociétés. En ce sens, elles ne financent pas d’individus isolés mais « groupés », les associés d’une même entreprise (SA ou SARL), coopérative ou non. Le lien social aux emprunteurs est préexistant car ils entrent ensemble en contact avec les Cigales. Ce ne sont pas elles qui demandent aux créateurs de s’associer.
Comparaison :
La notion de groupe telle qu’on l’entend au Sud trouve difficilement une application en France. Un organisme comme l’Adie (qui s’inspire de la Grameen Bank) a mis en place des groupes de créateurs mais il s’agit seulement de création de liens sociaux et d’échange d’information et non de crédit solidaire.
Conclusion sur le versant liens sociaux
Qu’apporte la prise en compte du capital social aux finances solidaires ? La prise en compte du capital social correspond à leur raison d’être puisque nous avons vu que d’un point de vue strictement financier, ces outils sont moins performants que ceux du marché. Même si elle peut sembler discrète, elle est présente mais sous des formes très différentes du Sud.
Fonti :
Pauline Grosso analyse et compare les institutions de microfinance la NEF et les CIGALES sur les thèmes suivants: épargne et crédit, assurance, institutionnalisation, liens sociaux, capital social, entraide et solidarité, et la notion de groupe.
La NEF jouit du statut de société financière et ne peut pas collecter de l’épargne court terme. Pour pallier à cette difficulté, elle a fait alliance avec une banque du réseau de l’économie sociale.
Les CIGALES sont des clubs d’investisseurs, jouissant du statut d’indivision, composés de 5 à 20 personnes qui épargnent chaque mois dans un pot commun.