FEDINA (Foundation for Educational Innovations in Asia)
Renforcer les capacités des plus marginalisés pour qu’ils obtiennent ce qui leur revient de droit
Jihane HABACHI, settembre 2011
FEDINA (Foundation for Educational Innovations in Asia) est une ONG créée en 1983 afin de conscientiser et renforcer les capacités des populations pauvres et marginalisées de la société indienne. Basée à Bangalore, au sud du pays, Fedina se bat pour les droits fondamentaux des laissés pour compte de la « plus grande démocratie du monde ».
Créée en 1983 autour d’une action dite plus « sociale » et exclusivement dans les slums (bidonvilles) de Bangalore, Fedina a su évoluer au fil des années. Ses dirigeants et militants se sont vite rendu compte que cela ne suffisait pas pour faire changer les choses en profondeur. Fedina a donc commencé à se battre pour protéger, promouvoir et étendre les droits fondamentaux des travailleurs du secteur informel et des populations marginalisées, c’est-à-dire les dalits (ou intouchables), les populations tribales et les femmes. Ce n’est qu’ainsi que leurs conditions de vie se voient améliorées dans la durée.
En plus de Bangalore et pour plus d’efficacité, il a été décidé d’étendre l’action de Fedina au reste du Karnataka, mais aussi des États du Sud que sont le Kerala, l’Andhra Pradesh, le Tamil Nadu et le territoire de Pondichéry. En 1996, le Network of Social Action Groups (réseau de groupes d’action sociale) est constitué. Il est formé de groupes issus des populations marginalisées et des travailleurs du secteur informel eux-mêmes de ces régions.
La stratégie de Fedina est basée sur la conscientisation et l’autonomisation (empowerment) de ces populations marginalisées afin de leur faire prendre conscience de leurs droits fondamentaux. Le renforcement de leurs capacités passe par des formations, discussions, séminaires, campagnes de sensibilisation ou encore du théâtre de rue. Tous les moyens sont bons pour aider ces populations à comprendre et à intégrer leurs droits, afin d’être à même de se défendre et de se battre pour les obtenir.
Contre l’exploitation des travailleurs
Une des priorités de Fedina est de se battre pour l’amélioration des conditions individuelles et collectives de travail, qui passe par la syndicalisation des travailleurs (1). « Les ONG indiennes comme les agences de solidarité internationale sont réticentes quand il s’agit de promouvoir la syndicalisation. Il me semble que du point de vue stratégique, nous devons nous demander si les objectifs de développement tels que préconisés par l’ONU se seraient pas mieux atteints en passant par la syndicalisation » affirme Duarte Barreto, directeur de Fedina depuis 1994.
Ce travail est rendu difficile par le fait que plus de 90% (2) de la force de travail en Inde fait partie du secteur dit « informel », autrement dit, non organisé. Ce travail de longue haleine commence par le fait, essentiel, de faire prendre conscience à ces personnes de leur statut de « travailleur » ou « ouvrier » ayant des droits, avant celui de « pauvre ».
Fedina aide donc les travailleurs du secteur informel (textile, construction, travail domestique…) à former des syndicats et des groupes de pression, afin d’obtenir de meilleures conditions de travail et salaires.
De nombreuses législations relatives au travail existent, mais leur mise en place reste peu efficace et pas toujours en vigueur au niveau des différents États indiens. Fedina travaille donc également à la mise en application efficace de lois nationales et internationales, notamment les conventions fondamentales de l’OIT (Organisation Internationale du Travail).
Le travail comme droit
Pour Fedina, le travail est un droit et un élément réel et de long terme de la lutte contre la pauvreté. En 2005, le gouvernement indien a introduit la National Rural Employment Guarantee Act (loi nationale de garantie de l’emploi rural, NREGA) garantissant 100 jours de travail par an et par famille, pour un salaire minimum fixe, pour les plus pauvres dans les zones rurales. Fedina a décidé de travailler pour la mise en œuvre effective de cette loi qui, bien appliquée, peut changer la situation en zone rurale et aider à la syndicalisation des travailleurs agricoles (3). Grâce à leur travail, les syndicats et groupes membres du réseau de Fedina en zones rurales aident les paysans à obtenir ces jours de travail et à être rémunérés. Mais le travail ne s’arrête pas là, il faut souvent s’assurer que les autorités locales ne détournent les fonds dédiés au NREGA à leur profit, ou encore que les hommes et les femmes perçoivent les mêmes indemnités, pour un même travail effectué. Une vraie révolution dans des zones ou les différences de salaires allaient du simple au triple entre femmes et hommes.
Le travail des syndicats et cette lutte pour l’égalité salariale ont permis de lutter directement contre les autres types de violences faites aux femmes.
Aide juridique et lutte contre les violences faites aux femmes
Certains ONG ont tendance à affirmer que la violence envers les femmes augmente. C’est en tout cas le constat que Fedina a pu faire, basé sur les réalités de terrain. En Inde, la violence domestique est partout, n’épargne aucune région, ni religion ou classe sociale (4). Les violences faites aux femmes restent complexes et imprègnent le quotidien. Les femmes ne sont pas seulement victimes de leurs maris, mais aussi d’autres parents, notamment de membres de la belle-famille, en raison de la pratique de la dot.
Mais il est surtout tabou de l’évoquer, puisque cela relève du domaine « privé », dans lequel il ne convient pas d’interférer. Fedina a pourtant décidé de s’investir pour protéger ces victimes et de se battre pour transformer cette approche de la violence domestique.
Les difficultés et la lenteur du système, ainsi que le manque flagrant de moyens des tribunaux transforment toute tentative d’obtenir la justice en parcours du combattant. C’est sans compter les humiliations et le manque de coopération des services de police qui leur conseillent la plupart du temps de s’adapter à la situation (« to adjust ») (5).
Pourtant, l’Inde est un des rares pays à s’être doté, en 2005, d’une loi reconnaissant les violences faites aux femmes comme des violations des droits humains : la Protection of Women from Domestic Violence Act(loi de prévention des violences domestiques). C’est pourquoi Fedina a décidé d’utiliser cette loi, tout en adoptant une approche qui tient compte des difficultés vécues par les femmes.
« Très peu d’ONG s’investissent comme nous le faisons pour prévenir la violence mais aussi et surtout la stopper», déclare Nagarathna, avocate au sein de Fedina qui offre une aide juridique aux femmes des bidonvilles (6). Fedina a créé des « groupes de vigilance » de voisinage, composés de femmes (souvent anciennes victimes de violences domestiques) qui se rassemblent pour venir en aide aux femmes qui en ont besoin et qui peuvent intervenir directement pour stopper cette violence.
Mais la peur est telle qu’il reste très difficile pour les femmes de parler de leur quotidien. Gagner leur confiance prend du temps, tout comme les aider à surmonter ces épreuves et bâtir un nouveau quotidien.
Lutte contre les discriminations faites aux dalits
Les discriminations envers les femmes ne sont pas les seules contre lesquelles Fedina se bat. L’organisation et son réseau combattent de façon prioritaire ce qui est parfois appelé « l’apartheid indien », c’est-à-dire, les discriminations systématiques et quotidiennes dont sont victimes les dalits (ou intouchables). Que ce soit l’interdiction d’entrer dans des temples ou églises, le refus de prêts bancaires ou encore des restaurants servant les dalits dans de la vaisselle en plastique pour qu’ils ne « contaminent » pas la vaisselle, etc., il existe de très nombreuses formes de manifestations quotidiennes et cruelles des discriminations de castes et cela va jusqu’au boycott social.
La Constitution indienne ainsi qu’une loi fondamentale sont censées protéger les dalits de ces différentes formes de violence, mais la réalité, notamment en zone rurale, est honteuse. Fedina et son réseau se battent pour identifier ces discriminations et y mettre un terme. Mais cela implique, plus que de changer les mentalités, de lutter contre un système social établi, reconnu et glorifié.
Ce même système qui, bien qu’illégal, empêche également les dalits d’accéder à la terre.
L’accès à la terre pour lutter contre la pauvreté
La terre est un moyen de subsistance pour des millions de famille (notamment des dalits et tribaux) en zone rurale. En zone urbaine, dans les bidonvilles, d’autres familles sont victimes d’expulsion, sous couvert de « développement ». Ces populations sans terre, souvent déjà marginalisées et mises au ban de la société, ont besoin d’accéder à la terre – qui leur revient parfois même légalement de droit.
Fedina et son réseau soutiennent ces sans-terres par l’intermédiaire d’une aide juridique, en se battant au travers des différentes lois existant en la matière. Cela passe par le droit à la forêt (7), la régularisation de titres de propriété ou la récupération de terres « usurpées ». Les cas de violations, une fois identifiées, sont alors portés à l’attention de la justice, mais, encore une fois, le chemin est long et la procédure très lourde et difficile.
Gouvernance et accès aux programmes de prestations sociales et de logement
Toutes ces problématiques auxquelles les populations marginalisées doivent faire face rendent la question de la gouvernance essentielle. Fedina et son réseau aide les personnes marginalisées à avoir accès à l’information nécessaire pour bénéficier des nombreux programmes et budgets gouvernementaux qui leur sont destinés et qui sont bien trop souvent détournés.
Pension de retraite, bourses scolaires, sécurité sociale, indemnités en tous genres, etc. ; nombreux sont les programmes auxquels les populations marginalisées ont pu bénéficier grâce au travail de terrain de Fedina et son réseau. Encore une fois, une attention spéciale est donnée aux minorités telles que les populations dalit ou tribales, qui, bien que censées bénéficier d’avantages spécifiques étant donné les discriminations systématiques dont elles sont les victimes, doivent véritablement se battre pour obtenir ce qui leur est dû.
Un autre aspect important est l’accès au logement pour les plus pauvres, qui ne peuvent la plupart du temps pas bénéficier de prêts bancaires « classiques ». Grâce à des partenariats, Fedina parvient notamment à aider les habitants des bidonvilles les plus pauvres de Bangalore à construire une petite maison, avec des remboursements adaptés à leurs capacités financières. « Cela change leur vie », affirme Duarte Barreto.
De nombreux défis à relever
Le travail de Fedina et de son réseau est énorme et difficile. Sensibiliser pour changer les situations et les mentalités de façon durable prends du temps et nécessite un travail de terrain et des contacts constants avec les populations dont les droits sont systématiquement bafoués. Les personnes qui interviennent dans les zones concernées sont d’ailleurs toujours originaires de ces mêmes localités, afin d’être mieux à même de comprendre les enjeux et d’avoir les atouts pour lutter.
Forts de ce constat et conscients des difficultés, Fedina et son réseau, ses groupes, syndicats et partenaires ont su gagner la confiance des populations avec lesquelles ils travaillent ; tout en continuant de vouloir les autonomiser et renforcer leurs capacités afin qu’elles défendent leurs intérêts et obtiennent le respect et les droits qui devraient leur revenir de plein droit.
Fonti :
D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html